Modes de PRD : de l’importance de la prévention

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Par Lucrece Leumeni Moukam, étudiante à la maîtrise en prévention de règlement des différends à la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke.

L’adage « mieux vaut prévenir que guérir » est une alerte quant à la nécessité d’agir de manière proactive, afin d’éviter l’arrivée d’un mal. Cette citation est courante dans le domaine médical, et est généralement utilisée pour sensibiliser à l’adoption de comportements prudents, dans l’optique d’éviter des maladies : par exemple, se laver les mains régulièrement, tousser ou éternuer dans le creux de son coude, respecter la distanciation sociale ou le confinement sont des comportements aidant à éviter d’attraper le coronavirus.

Cet adage a aussi tout son sens en matière de gestion et règlement des différends : depuis l’émergence des modes de prévention et règlement des différends, on a tendance à mettre le focus sur le « règlement » passant par la médiation, l’arbitrage, la conciliation, la facilitation… La prévention est parfois oubliée, mais a selon nous une grande importance dans le domaine de la gestion des différends.

Les relations humaines sont faites d’oppositions, qui peuvent s’avérer plus moins énergivores et destructrices. Prévenir un différend c’est éviter d’en arriver à un choc émotionnel ou physique entre deux personnes pouvant fragiliser la paix, une relation, un contrat, ou des égos…

Prévenir des différends c’est donc faire preuve de prudence et agir de manière proactive pour éviter des situations indésirables et les conflits : les coûts transactionnels [1] liés à un conflit peuvent rapidement devenir importants. Pour éviter ces dépenses, il est nécessaire d’adopter une culture de prévention afin d’endiguer les émotions et éviter une escalade.

En dehors de l’avantage financier présenté plus haut, la prévention des différends contribue aussi à sauvegarder la relation ou les objectifs commun. En effet, prévenir un différend aide à ce que les relations ne soient pas détruites, et participe à ce que le travail continue d’être fait. Par exemple, dans une entreprise, prévenir le différend aiderait à garder des collègues en bons termes, et permettrait que le travail en entreprise ne soit pas ralenti par des coups bas et vengeances, baisses de rendement et réduction d’efforts.

Prévenir les différends permet également aux directeurs et gestionnaires d’entreprise de garder le contrôle sur les disputes; puisqu’ils ont prévu comment les gérer, ils ne seront pas surpris ou désarmés face à un différend, mais pourront user de méthodes réalistes, afin de mettre fin aux incompréhensions.

Un rapport peut également être fait entre prévention et préservation de la confidentialité, car prévenir un différend permet d’empêcher qu’un problème ou qu’un scandale éclate.

De manière concrète, la prévention d’un différend passe par quatre points clés : l’anticipation, la communication, l’établissement de règles de fonctionnement, les méthodes participatives [2].

L’anticipation repose sur le fait d’essayer de prévoir l’avenir. Effectivement, il s’agit de penser à des scénarii plausibles, visualiser les types de problèmes qui pourraient arriver. Cela peut se faire sous forme de brainstorming, ou de mises en situation. L’avantage est d’obtenir des solutions à des problèmes réalistes.

L’anticipation passe également par de la sensibilisation liée à la prévention des différends : il pourrait s’agir de formations sur des thèmes variés, de groupes de travail ou d’ateliers. Par exemple, la Loi sur les normes du travail [3] a poussé de nombreuses entreprises gouvernementales [4] à mettre sur pied des ateliers de sensibilisation à la civilité en milieu de travail.

La communication permet à des parties en mésentente de se parler, de s’ouvrir les unes aux autres, d’aller à la recherche d’informations sur les perceptions et émotions de l’autre. L’idée est que chacun présente son point de vue, s’explique, afin de mieux connaître les motivations des uns et des autres. Par exemple, pour savoir pourquoi un collègue est désagréable envers nous et ne nous dit jamais bonjour, il faudrait lui poser la question! Cela permet d’obtenir une réponse qui n’est pas construite par nous et nos idées reçues ou nos suppositions. On a donc de grandes chances à ce moment de toucher directement le nœud du problème, et d’en parler. Le tout devrait être fait de manière non violente, dans un cadre sécurisé, idéalement dirigé par un tiers neutre. Ici, le tiers neutre n’est pas un professionnel des modes de prévention et règlement des différends, mais une personne proche des parties et en qui les parties ont confiance : il serait avantageux que ce tiers connaisse le milieu, puisse donner un avis objectif, soit capable de faire un suivi rapproché de la situation. Les parties peuvent s’arranger d’avance pour nommer de concert ce tier. Cette manière de fonctionner prend sa source dans le domaine de la construction, bien avant la naissance des « dispute resolution board » [5].

L’établissement de règles de fonctionnement [6] comme méthode de prévention des différends est intéressante dans la mesure où il existe un cadre de référence qui mentionne les comportements admis et ceux qui sont proscrits, qui promeut une certaine culture éthique.

Les méthodes participatives déterminent un excellent moyen de prévenir les différends, car encouragent la coopération et l’ouverture : les parties en dispute ont non seulement l’occasion de s’exprimer, mais aussi sont encouragées à travailler ensemble pour résoudre leur dispute. Adopter cette manière de faire dès la survenance de la mésentente permet de gérer les situations en temps réel, et éviter qu’elles ne se transforment en différends. Comme exemple de méthode participative, nous pouvons citer le « partnering » [7].

Une autre technique de prévention des différends est la présentation des risques [8] : elle consiste à faire voir aux parties les risques occasionnés par leur dispute (à long et à court terme), et les conséquences qui pourraient en découler. L’objectif est d’aider les parties à saisir les enjeux, et faire des choix éclairés.

Le meilleur moment pour mettre en place des stratégies de prévention des différends est au début des relations, ou alors lorsque le différend n’est pas encore existant : en effet, à ces moments-là, les parties sont rationnelles, et peuvent créer des moyens de prévention sans émotions ou alors avec un regard neutre.

La prévention peut se faire dans un contexte relationnel ou organisationnel; elle peut se décliner de différentes manières : de la simple prévoyance et vigilance, à des codes de conduite. Pour ce faire, il faudrait suivre le schéma contextualisation, identification des disputes possibles, estimation [9].

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Source : Innovative Program Delivery & U.S Department of transportation (2013)


  1. « Les coûts transactionnels ont été définis comme “the costs that are incurred because of the presence of a dispute including direct costs (such as fees and expenses paid to lawyers, paralegals, accountants, claims consultants, and other expert), indirect costs (such as salaries and associated overhead of in-house lawyers, company managers, and other employees who have to assemble the facts, serve as witnesses and otherwise process the dispute), and (to the extent they can be measured) hidden costs (such as the inefficiencies, delays, loss of quality that disputes cause … and the costs of strained business relations between the contracting parties. » G. Edward GIBSON et Richard J. GEBKEN, « Decision Making, Transactional Costs and Dispute Resolution: Is There a Better Way? », Construction Research Congress, 2005, p. 10.
  2. Voir CPR Prevention Practice Materials, Reducing Disputes Through Wise Prevention Processes in Business Agreements, 2010.
  3. RLRQ, N-1 .1 Voir l’article 81.18 concernant le harcèlement psychologique : « Pour l’application de la présente loi, on entend par ‘harcèlement psychologique’ une conduite vexatoire se manifestant soit par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés, qui sont hostiles ou non désirés, laquelle porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique du salarié et qui entraîne, pour celui-ci, un milieu de travail néfaste. Pour plus de précision, le harcèlement psychologique comprend une telle conduite lorsqu’elle se manifeste par de telles paroles, de tels actes ou de tels gestes à caractère sexuel. Une seule conduite grave peut aussi constituer du harcèlement psychologique si elle porte une telle atteinte et produit un effet nocif continu pour le salarié. ». Voir également l’article 81.19 : « Tout salarié a droit à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique. L’employeur doit prendre les moyens raisonnables pour prévenir le harcèlement psychologique et, lorsqu’une telle conduite est portée à sa connaissance, pour la faire cesser. Il doit notamment adopter et rendre disponible à ses salariés une politique de prévention du harcèlement psychologique et de traitement des plaintes, incluant entre autres un volet concernant les conduites qui se manifestent par des paroles, des actes ou des gestes à caractère sexuel. »
  4. GOUVERNEMENT DU CANADA, Gestion du mieux-être, 2011. En 2005, l’article 207 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.R.C. 1985, ch. P-35 « LRTFP ») a rendu obligatoire que tous les ministères et organismes (tel qu’énoncé dans le préambule de la LRTFP) disposent d’un système de gestion informelle des conflits (SGIC). Cet article de la Loi a donc instauré, dans la fonction publique fédérale, un nouveau système de gestion des conflits conçu pour appuyer l’engagement du gouvernement du Canada à « résoudre de façon juste, crédible et efficace les problèmes liés aux conditions d’emploi ». 
  5. Voir le site de la Dispute Resolution Board Foundation pour une définition complète.
  6. Helena HAAPIO et George J. SIEDEL, « Contracts and Risks – the Big Picture » dans A Short Guide to Contract Risk, Burlington (VT), Gower, 2013.
  7. CPR Prevention Practice Materials, Reducing Disputes Through Wise Prevention Processes in Business Agreements, préc., note 2, p. 22 : « Partnering is a team-building effort in which the parties establish cooperative working relationships through a mutually-developed, extra-contractual strategy of commitment and communication. It can be used for long-term relationships, or on a project-specific basis. The relationship is based upon trust, dedication to common goals, and understanding of each others’ individual expectations and values. The expected benefits from such a relationship include improved efficiencies and cost effectiveness, increased opportunity for innovation, and continual improvement of quality products and services. »
  8. Thomas D. BARTON, « Thinking Preventively and Proactively », dans Preventing Law and Problem Solving: Lawyering, Heathrow, Vandeplas Publishing, 2009, p. 77.
  9. Louis MARQUIS, Droit de la prévention et du règlement des différends, principes et fondements : une analyse dans la perspective du nouveau code de procédure civile du Québec, Sherbrooke, Les éditions revue de droit, 2015.