Psychologie organisationnelle et modes privés de prévention et de règlement des différends

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Par Sabrina Longato, étudiante en psychologie à l’Université de Montréal, et Shawn Foster, étudiant en droit à l’Université Laval.

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Le milieu de travail est un lieu où se côtoient diverses personnalités et, de ce fait, une source constante de conflits potentiels. Ces derniers sont définis comme étant « un processus impliquant des réactions (émotives et cognitives) et des comportements, qui commence lorsqu’une partie perçoit qu’elle a été, selon elle, lésée par une autre partie ou que cette autre partie s’apprête à le faire » [1]. D’ailleurs, il existe divers types de conflits : interpersonnel, intragroupe et intergroupe [2], entre autres, lesquels entraînent des conséquences fâcheuses non seulement pour les parties impliquées, mais aussi auprès de l’organisation entière. Effectivement, les individus seront notamment affectés quant à leur niveau de stress, d’épuisement professionnel, de dépression, d’anxiété ou de problèmes somatiques, tandis que les organisations subiront un effet sur le plan du taux d’absentéisme, du roulement et de la productivité [3].

Avec le Code de procédure civile de 2016, le législateur institue l’obligation aux parties soumises à un différend de considérer les modes privés de prévention et de règlement des différends (« PRD ») avant de s’adresser aux tribunaux [4]. Ces derniers ne sont parfois pas la solution appropriée dans un contexte organisationnel, en raison du résultat « gagnant-perdant » qu’ils émettent, a fortiori lorsque l’enjeu, bien qu’il puisse être juridique, comporte en outre des aspects extra juridiques, notamment relationnels et émotionnels, qui ne peuvent être tranchés suivant cette logique. En effet, dans un contexte organisationnel, c’est l’ensemble des facteurs que comporte le différend auquel on doit apporter une solution. A contrario de la justice traditionnelle, les modes de PRD ont une finalité relationnelle [5] et requièrent, d’ailleurs, une participation active et créative des protagonistes en vue de remédier à leur différend. À cet effet, l’ancienne juge de la Cour d’appel, Louise Otis, exprime avec brio que « [l]e système de justice contradictoire [est] investi de la mission de dire le droit, et celui de justice médiatoire[,] de régler le problème» [6].

La communauté juridique ne semble point s’entendre sur la définition du terme « différend », ce dernier étant tantôt défini comme « un état de tension, de désaccord ou de discorde entre des parties ou au sein d’un groupe lorsque les positions des intéressés sont opposées » [7], tantôt comme « un désaccord juridique non encore porté… devant le tribunal » [8]. La première définition paraît plus adéquate pour le contexte organisationnel, en raison de la définition que donnent les psychologues du conflit et de ses nombreuses sources potentielles. Parmi ces dernières, l’incompatibilité des objectifs poursuivis par les individus et les attentes relatives aux rôles de chacun s’avèrent les deux causes saillantes. D’une part, l’incompatibilité des objectifs a lieu lorsqu’il n’y a pas d’entente sur les priorités, les échéances à respecter et l’orientation générale des activités des individus ou des groupes. Bien que l’incompatibilité des objectifs dépende des ressources humaines, matérielles et temporelles, celles-ci sont limitées et nécessitent une répartition égale entre les services afin que chacun puisse atteindre les objectifs organisationnels. D’autre part, un rôle est un comportement attendu et qui est défini par la description des tâches, les normes informelles et le titre du poste occupé. Cependant, si le rôle attendu n’est pas clairement expliqué, l’individu lui-même aura tendance à définir son propre rôle afin de réduire cette ambiguïté. En conséquence, il risque de s’attribuer des responsabilités qui empiètent sur celles d’autres employés et de communiquer des demandes contradictoires [9]. Ce type de conflit peut non seulement menacer l’identité professionnelle, mais remettre en question les habiletés et les compétences des individus.

Tel que l’exprime la citation de l’ancienne juge Otis présentée en introduction, le recours aux modes de PRD sied davantage aux parties si leur relation doit perdurer, notamment parce qu’on ne tranche pas qu’objectivement le différend, selon le droit. Pour reprendre les propos du professeur Lafond, l’aspect juridique est souvent la pointe de l’iceberg [10]; la solution apportée doit donc permettre aux parties de continuer d’entretenir une relation saine dans un milieu sain. Cela passe d’abord par le consensus auquel nous permettent d’arriver les modes de PRD (médiation, conciliation, négociation, etc.), puis par le droit (décision judiciaire ou administrative) et, enfin, par le pouvoir (grève, lock-out) [11]. En ce sens, la professeure et médiatrice, Marie-Claire Belleau, affirme que les solutions trouvées par les parties à la médiation, bien qu’elles soient « conformes aux règles du droit, elles dépassent généralement ce cadre strict dans la mesure où elles tentent de répondre au plus grand nombre possible de besoins des protagonistes. Ainsi, les solutions peuvent être d’ordre économique, relationnel, émotif, politique, psychologique et social » [12]. Alors, se manifeste l’objectif de la médiation en milieu de travail : rétablir les rapports entre collègues, en adoptant une approche au-delà du droit [13].

Par ailleurs, plusieurs différends peuvent résulter de relations tendues avec les supérieurs hiérarchiques, de problèmes de communication, d’harcèlement sexuel et/ou psychologique et de la compétitivité malsaine [14]. Alors, il est important de prévoir des moyens pour endiguer ces sources potentielles de conflits afin de minimiser les répercussions négatives au sein de l’organisation et auprès des individus. En effet, l’arbitre Louis Marquis affirme d’emblée que régler et prévenir ont valeur égale [15], car tandis que l’un met fin au différend, le second tente d’éluder sa survenance ainsi que le lot de conséquences, tant juridiques que relationnelles ou émotionnelles, qu’il comporte. D’ailleurs, la Loi sur les normes du travail [16] impose une obligation de prévention à l’employeur, laquelle se formule comme suit:

81.19. Tout salarié a droit à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique.

L’employeur doit prendre les moyens raisonnables pour prévenir le harcèlement psychologique et, lorsqu’une telle conduite est portée à sa connaissance, pour la faire cesser. Il doit notamment adopter et rendre disponible à ses salariés une politique de prévention du harcèlement psychologique et de traitement des plaintes, incluant entre autres un volet concernant les conduites qui se manifestent par des paroles, des actes ou des gestes à caractère sexuel.

Afin d’adéquatement gérer les risques pouvant donner lieu à des conflits dans un contexte organisationnel, trois attitudes devraient être adoptées : la contextualisation, l’identification et l’estimation [17]. En ce sens, l’intervention devrait avoir lieu avant même que le conflit survienne, afin d’éviter un environnement de travail malsain, inapproprié. Des pistes de prévention sont possibles; parmi celles-ci, il y a notamment la mise en place d’une ligne de dénonciation, l’instauration de sondages, la prise en compte des opinions des nouveaux employés, l’intervention des employeurs par rapport aux menaces et aux discriminations qui se passent en ligne et/ou en personne, l’instauration de nouvelles valeurs organisationnelles, tout comme « la nomination d’ambassadeurs internes en matière de respect des personnes et de civilité » [18]. Ces moyens de prévention permettront aux employés de se réaliser, d’avoir une meilleure communication et d’avoir une meilleure satisfaction personnelle au sein d’une organisation, tout en favorisant un environnement de travail harmonieux [19].

En somme, puisque les interactions sur les lieux de travail sont quasi constantes, décuplant ainsi les occasions de conflits potentiels, les modes de PRD s’avèrent une méthode adéquate à envisager en cas de différend. En effet, l’usage de ces modes rend possible la préservation du lien relationnel entre collègues, voire son amélioration, plutôt que de strictement résoudre une question litigieuse. Bénéficiant de leur approche multidisciplinaire pouvant englober l’ensemble du conflit en vue de le régler, les modes de PRD permettent également aux organisations de conserver un équilibre et un environnement de travail sain.


  1. Roland FOUCHER et Kenneth W. THOMAS, « La gestion des conflits », dans Roger TESSIER et Yvan TELLIER (dir.), Changement planifié et évolution spontanée, Québec, Presse de l’Université du Québec, 1991, p. 75, cité par Simon L. DOLAN, Éric GOSSELIN et Denis MORIN, Psychologie du travail et comportement organisationnel, 5e éd., Montréal,Chenelière Éducation, 2017, p. 282.
  2. Le conflit interpersonnel survient lorsque deux individus vivent un désaccord face à un but, une procédure ou même des valeurs. Le conflit intragroupe comprend, quant à lui, plusieurs personnes d’un même groupe. Le conflit intergroupe survient lorsque deux groupes s’opposent. Voir S. L. DOLAN, É. GOSSELIN et D. MORIN, préc., note 1, p. 289 à 291.
  3. Id., p. 195 à 198.
  4. Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25.01, art. 1.
  5. Louise LALONDE, « État de droit et modes privés de gestion des différends », dans Daniel MOCKLE (dir.), Mondialisation et État de droit, Bruxelles, Bruylant, 2002, p. 300-301, cité par Urwana COIQUAUD, « Portrait des règlements et de la prévention des différends en droit du travail », dans Pierre-Claude LAFOND (dir.), Régler autrement les différends, 2e éd., Montréal, LexisNexis Canada inc., 2018, p. 342.
  6. Louise OTIS, La transformation de notre rapport au droit par la médiation judiciaire, 8e Conférence Albert-Mayrand, Montréal, Éditions Thémis, 2005, p. 17, cité par Sylvette GUILLEMARD, « Médiation, justice et droit: un mélange hétéroclite », (2012) 53-2 Cahiers de droit 189, 201.
  7. Louis MARQUIS, Droit de la prévention et du règlement des différends (PRD). Principes et fondements : une analyse dans la perspective du nouveau Code de procédure civile du Québec, Sherbrooke, Les Éditions Revue de Droit de l’Université Sherbrooke, 2015, p. 77.
  8. Pierre-Claude LAFOND, « Introduction », dans Pierre-Claude LAFOND (dir.), Régler autrement les différends, 2e éd., Montréal, LexisNexis Canada inc., 2018, p. 8.
  9. S. L. DOLAN, É. GOSSELIN et D. MORIN, préc., note 1, p. 284 à 285.
  10. P.-C. LAFOND, préc., note 8, p. 9.
  11. ORGANISATION INTERNATIONALE DU TRAVAIL, Systèmes de résolution des conflits du travail : lignes directrices pour une performance accrue, Italie, Centre international de formation de l’OIT, 2014, p. 20.
  12. Marie-Claire BELLEAU, « Les modes de prévention et de règlement des différends pour les PME », dans Charlaine Bouchard (dir.), Droit des PME, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2011, p. 547, cité par S. GUILLEMARD, préc., note 6, p. 198.
  13. S. GUILLEMARD, préc., note 6, p. 224.
  14. S. L. DOLAN, É. GOSSELIN et D. MORIN, préc., note 1, p. 191 à 194.
  15. L. MARQUIS, préc., note 7, p. 42.
  16. Loi sur les normes du travail, RLRQ, c. N-1.1.
  17. L. MARQUIS, préc., note 7, p. 48.
  18. Josée BOURDAGES, « Prévention du harcèlement: le rôle des conseillers en RH », Ordre des conseillers en ressources humaines agréés, 30 novembre 2018.
  19. COMITÉ SECTORIEL DE MAIN D’OEUVRE DES PÊCHES MARITIMES, « Climat de travail ».