Les fraudeurs et la PCU

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Par François Boillat-Madfouny, étudiant à la maîtrise en droit criminel à la Faculté de droit de l’Université de Montréal

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En réponse aux conséquences économiques découlant du confinement généralisé décrété par les autorités publiques depuis mars 2020, le gouvernement fédéral a rapidement mis sur pied un programme d’aide aux individus ayant subitement perdu leur source de revenus. La Loi sur la prestation canadienne d’urgence, sanctionnée le 25 mars 2020, a donc permis au gouvernement de fournir des « allocations de soutien du revenu » aux travailleurs satisfaisant aux critères d’admissibilité [1]. Le critère principal prévoit que l’individu qui souhaite bénéficier de la prestation canadienne d’urgence [2] doit avoir « cesse[r] d’exercer son emploi — ou d’exécuter un travail pour son compte — pour des raisons liées à la COVID-19 » [3].

Dans ce contexte, on peut bien comprendre l’intention du gouvernement de privilégier la distribution rapide et urgente des sommes d’argent aux citoyens en ayant durement besoin, bien que cela ait pu avoir un impact certain sur l’ampleur vérifications pouvant être faites par les autorités publiques à l’égard de chaque demande de PCU qui est faite [4].

Conséquemment, il semble qu’il ait été relativement facile d’obtenir la PCU sans y avoir droit [5]. Aux fins de cette note, nous nous limiterons à deux types de comportements qui pourraient être qualifiés de frauduleux eu égard à la prestation canadienne d’urgence :

  1. L’individu qui demande et, grâce à de fausses déclarations, reçoit la PCU, malgré qu’il ne satisfasse pas de facto aux critères d’admissibilité (notamment et principalement s’il indique faussement avoir perdu son emploi en raison de la COVID-19).
  2. L’individu qui demande la PCU au nom d’une autre personne, à son insu, afin de pouvoir bénéficier d’un montant, additionnel ou non, auquel il n’a pas droit [6].

De tels gestes constituent-ils des infractions en droit pénal réglementaire ou en droit criminel? Dans les deux cas, ils semblent d’abord être visés par un projet de loi que le gouvernement fédéral a présenté à la Chambre des communes le 10 juin 2020. Le projet de loi C-17, en sus de proposer quelques ajustements à la PCU, codifie certaines dispositions pénales afin de sanctionner ceux ayant frauduleusement obtenus ou tenté d’obtenir la PCU [7]. De tels comportements seraient punissables d’une amende maximale de 5 000$ ou d’un emprisonnement maximal de six mois [8].

Le projet C-17 crée donc une infraction pénale réglementaire passible d’une peine d’emprisonnement, ce qui assez rare, la détention étant davantage réservée aux infractions prévues au Code criminel. Plusieurs ont critiqué cet aspect du projet de loi, dont certains partis d’opposition qui estiment entre autres que gouvernement n’a pas été clair et concis relativement aux critères d’admissibilité de la PCU [9].

Par ailleurs, ce projet de loi alimente certaines inquiétudes en ce qu’il semble vouloir non seulement sanctionner les individus qui feraient de fausses déclarations suite à son adoption, mais également ceux ayant fait de fausses déclarations préalablement à son adoption. Nous ne sommes pas constitutionnalistes, mais nous sommes convaincus que des questions importantes doivent se poser quant à la constitutionnalité d’une loi qui cherche à sanctionner des comportements rétroactivement ou rétrospectivement, surtout si cette dernière prévoit la possibilité de peines d’emprisonnement [10].

Dans tous les cas, en date de la publication de la présente, le projet de loi se trouve toujours à l’étape du dépôt et de la première lecture devant la Chambre des communes [11]. Nous suivrons son évolution à la rentrée parlementaire cet automne.

Le droit criminel, quant à lui, pourrait certainement sanctionner les deux types de comportements susmentionnés. Dans les deux cas, il s’agit, selon nous, d’une fraude, codifiée à l’article 380 C.cr. [12]. Les éléments essentiels de cette infraction sont clairement définis par la jurisprudence. Le juge Poulin de la Cour municipale de la Ville de Québec les réaffirmait récemment dans l’affaire R. c. Tremblay :

« [65] Une infraction de fraude comporte les éléments essentiels suivants :

un geste de mensonge ou de supercherie, ou encore l’emploi de moyens dolosifs.

Les premiers sont des moyens trompeurs pour faire croire à une situation qui est fausse.

Les « moyens dolosifs » signifient des moyens malhonnêtes. Le critère pour apprécier le caractère malhonnête de ces moyens est celui de la personne raisonnable : comment celle-ci jugerait-elle les moyens utilisés par l’accusé?

La malhonnêteté tient essentiellement à l’emploi illégitime d’une chose sur laquelle une autre personne a un droit. Ces situations incluent l’utilisation de ressources financières d’une entreprise à des fins personnelles, la dissimulation de faits importants, le détournement de fonds et l’usurpation de fonds ou de bien d’une autre personne à des fins personnelles.

la privation causée au patrimoine de la victime ou le risque de privation.

[66] L’intention criminelle requise comporte deux éléments :

la conscience de la nature de l’acte posé par l’accusé.

Il s’agit de la connaissance de la nature de l’acte, et non de sa qualité morale. L’accusé doit savoir que son comportement est empreint de fausseté ou d’un procédé malhonnête.

et la connaissance que celui-ci comporte un risque de préjudice pour autrui.

L’accusé doit sciemment adopter la conduite en cause et il doit comprendre subjectivement que cette conduite peut entraîner une privation au sens qu’elle peut faire perdre à une autre personne l’intérêt pécuniaire qu’elle a dans une chose. » [13]

Ainsi, concernant l’individu qui affirme, dans sa demande de PCU, qu’il ne travaille pas à cause de la COVID-19 alors qu’il n’a pas véritablement perdu son emploi, les éléments essentiels de la fraude sont présents. Quant aux éléments matériels, l’individu a menti (1) [14], ce qui, conséquemment, prive l’État – et plus spécifiquement les contribuables [15] – de 2000$ par mois (2). Quant aux éléments moraux, le fait d’avoir menti démontre amplement que l’individu était conscient de la nature de l’acte (1), et il nous semble évident qu’un individu qui adopte ce comportement sait qu’il va priver l’État du montant fraudé (2).

Certes, l’individu en question pourrait tenter de démontrer qu’il n’était pas conscient de la nature de son acte, c’est-à-dire qu’il pensait sincèrement qu’il avait droit à la PCU, de sorte qu’il ne possédait pas l’élément moral requis pour être déclaré coupable de fraude au sens du Code criminel. S’il soulève un doute raisonnable sur cette question, il doit en bénéficier et doit être acquitté. Toutefois, avec respect pour l’opinion contraire, nous avons énormément de misère à croire qu’une personne pensait sincèrement avoir droit à la PCU alors qu’elle n’a pas perdu son emploi. Au minimum, il s’agirait d’insouciance assimilable à la connaissance en droit criminel [16].

Quant à l’individu qui usurpe l’identité d’une autre personne pour obtenir une PCU additionnelle, les éléments essentiels de la fraude sont également présents. Il a menti en faisant une fausse déclaration sur son identité (1), et il sait qu’il prive l’État de sommes d’argent (2). Pour ce qui est éléments moraux, il va de soi qu’il est conscient de la nature de son acte (1) et il sait assurément qu’il cause un préjudice pour l’État (2) [17].

Ainsi, selon nous, de tels gestes, s’ils sont prouvés hors de tout doute raisonnable, répondent parfaitement aux comportements que cherchent à sanctionner l’article 380 C.cr. Dans le cadre de la détermination de la peine à imposer à tels individus, les tribunaux devront considérer, entre autres, les facteurs aggravants et atténuants applicables [18].  Nous avons quelques suggestions à faire sur ce point.  

D’abord, nous considérons qu’il est particulièrement répréhensible pour un individu de profiter d’un temps de crise pour frauder son gouvernement – et donc de ses concitoyens contribuables – alors que la dette étatique s’élargit excessivement. Non seulement les sommes fraudées constituent des deniers publics, ce qui est, en soi, un facteur aggravant systématiquement reconnu en jurisprudence canadienne [19], mais ces sommes sont fraudées dans un contexte de surendettement collectif.

Plus encore, pour ce qui est l’individu qui obtient frauduleusement la PCU au nom d’une autre personne, non seulement s’agit-il de deniers publics, mais il s’agit également de sommes dont aurait probablement besoin la personne fraudée en ces temps de crise. Le contrevenant prive cette personne de sommes dont elle risque d’avoir besoin immédiatement. Il s’agit d’un irrespect et d’une insouciance totale à l’égard d’autrui, et cela doit, avec respect pour l’opinion contraire, être considéré comme un facteur aggravant [20].

Quant aux circonstances atténuantes, je devine que certains seraient tentés de soulever que la fraude était tellement facile à faire que cela devrait être un facteur atténuant. Il est vrai que la préméditation et la complexité de la fraude sont des facteurs que la jurisprudence a reconnus comme aggravants [21]. Toutefois, cela implique qu’a contrario, il s’agit d’un facteur neutre, et non pas un facteur atténuant.

En somme, nous sommes d’avis que le droit criminel, et plus spécifiquement les infractions de fraude, peuvent être utilisés pour sévir contre les individus ayant obtenu la PCU à laquelle ils n’avaient pas droit. Faute d’espace, nous avons omis d’étudier les complexités et possibilités d’identifier ces fraudeurs, tout comme l’opportunité de se servir du droit criminel plutôt que les différents pouvoirs que possède l’Agence de revenu du Canada en matière de récupération de sommes envoyées par erreur ou suite à une demande frauduleuse. Dans tous les cas, nous espérons que tous sont sensibilisés au caractère moralement blâmable de frauder la collectivité en temps de crise. Petit conseil : allez donc vérifier votre dossier auprès de l’Agence de revenu du Canada.


  1. Loi sur la prestation canadienne d’urgence, L.C. 2020, ch. 5, art. 8, art. 6. 
  2. Ci-après : « PCU ».
  3. Id. D’autres régimes plus particuliers ont également été mis sur pied, tel que la Prestation canadienne d’urgence pour étudiants (Loi sur la prestation canadienne d’urgence pour étudiants, L.C. 2020, c. 7).
  4. C’est d’ailleurs ce qu’a systématiquement indiqué le gouvernement fédéral ainsi que l’Agence de revenu du Canada, exprimant avoir tout à fait conscient des risques de demandes frauduleuses que cela engendrerait (Radio-Canada, « Une note interne incite les fonctionnaires à valider les demandes de PCU », Radio-Canada, 14 mai 2020; Cédric Lizotte, « Ceux qui empochent la PCU sans y avoir droit seront retracés, assure l’Agence du revenu », Radio-Canada, 4 mai 2020; Cristin Schmitz, « Ottawa poised to introduce law to extend civil timelines and punish CERB abuse », The Lawyer’s Daily, 10 juin 2020).
  5. Agence QMI, « Fraude à la PCU: manque de protection », Journal de Montréal, 9 juin 2020; Cédric Lizotte, « Fraude à la PCU : le fédéral prépare des peines de prison », Radio-Canada, 8 juin 2020; Jonathan Roberge, « PCU en prison : 14 chèques saisis dans les établissements du Québec », Radio-Canada, 5 mai 2020; Radio-Canada, « Obtenir la PCU sans y avoir droit : gare aux conséquences, disent des organismes gatinois », Radio-Canada, 21 mai 2020; Radio-Canada, « La Prestation canadienne d’urgence, trop facilement accessible? », Radio-Canada, 4 mai 2020.
  6. Voir, par exemple: Jean-Simon Millette, « Un Ottavien victime d’une fraude entourant la PCU veut sensibiliser les gens », LeDroit,30 mai 2020; Vincent Larouche, « PCU: une manne pour les fraudeurs », LaTribune, 21 mai 2020;  Gouvernement du Canada, « Protégez-vous contre la fraude », 5 mai 2020; Simon Coutu, « Attention aux vols d’identité liés à la Prestation canadienne d’urgence », Radio-Canada, 22 mai 2020. 
  7. Projet de loi C-17, Loi concernant certaines mesures additionnelles liées à la COVID-19, 1ère session, 43e législature. L’article 14.1 du projet de loi C-17 se lit comme suit : « 14.1 (1) Commet une infraction quiconque, selon le cas : a) fait sciemment une déclaration fausse ou trompeuse relativement à une demande d’allocation de soutien du revenu présentée en vertu de l’article 5; b) étant tenu sous le régime de la présente loi de fournir des renseignements, fait une déclaration ou fournit un renseignement qu’il sait être faux ou trompeurs; c) omet sciemment de déclarer au ministre tout ou partie des revenus reçus à l’égard de la période pour laquelle il demande l’allocation de soutien du revenu; d) fait sous le régime de la présente loi une demande ou une déclaration que, en raison de la dissimulation de certains faits, il sait être fausse ou trompeuse; e) reçoit sciemment, de quelque manière, l’allocation de soutien du revenu sans y être admissible au titre de la présente loi; »
  8. Id., art. 14.1(2). Ces dispositions pénales s’ajoutent à la « pénalité » que pourrait imposer le gouvernement, en vertu de l’article 12.1 de ce même projet de loi, à l’individu qui a commis un des gestes susmentionnés(Id., art. 12.1 – 12.6).
  9. Stéphanie Parent, « Modifications inquiétantes et incertaines à la Prestation canadienne d’urgence », RDI International, 11 juin 2020; Catherine Lévesque, « Ottawa déposera un projet de loi pour punir les fraudeurs de la PCU », LeSoleil, 8 juin 2020.
  10. Voir à ce sujet l’article 11g) de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11(R.-U.)] : « Tout inculpé a le droit […] de ne pas être déclaré coupable en raison d’une action ou d’une omission qui, au moment où elle est survenue, ne constituait pas une infraction d’après le droit interne du Canada ou le droit international et n’avait pas de caractère criminel d’après les principes généraux de droit reconnus par l’ensemble des nations. »
  11. LEGISinfo, Chambres de communes, C-17 : Loi concernant certaines mesures additionnelles liées à la COVID-19.
  12. C.cr., art. 380 : «380 (1) Quiconque, par supercherie, mensonge ou autre moyen dolosif, constituant ou non un faux semblant au sens de la présente loi, frustre le public ou toute personne, déterminée ou non, de quelque bien, service, argent ou valeur : […] »
  13. R. c. Tremblay, 2019 QCCM 127, citant R. c. Théroux, [1993] 2 R.C.S. 5; R. c. Zlatic, [1993] 2 R.C.S. 29; R. c. J.E., 1997 CanLII 10605 (C.A.); Mongeau c. R., 1999 CanLII 13679 (QC CA); Dumont c. R., 2001 CanLII 10280 (QC CA).
  14. Notons toutefois qu’il faudra démontrer que l’accusé n’ait en effet pas perdu son emploi à cause de la COVID-19, ce qui n’est pas simple.
  15. Tel que nous verrons ultérieurement, cet aspect doit être considéré comme aggravant au niveau de la détermination de la peine.
  16. Sansregret c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 570.
  17. Notons d’ailleurs que tels gestes pourraient également être assimilées à la fraude à l’identité en vertu de l’article 403 C.cr. : « 403 (1) Commet une infraction quiconque, frauduleusement, se fait passer pour une autre personne, vivante ou morte : a) soit avec l’intention d’obtenir un avantage pour lui-même ou pour une autre personne; […] »
  18. C.cr., art. 718.2a).
  19. Lévesque c. Québec (Procureur général), 1993 CanLII 4232 (QC CA).
  20. Notons que tout facteur aggravant doit être prouvé hors de tout doute raisonnable par le poursuivant en vertu de l’article 724(3)e) C.cr., de sorte que le témoignage de la victime sur cette question risque d’être nécessaire.
  21. Lévesque c. Québec (Procureur général), préc.,note 19.