Protectionnisme ou réel état d’urgence sanitaire? La déferlante de la COVID-19

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Par Mélanie Ruiz-Pardo, étudiante à la maîtrise en droit des affaires à l’Université de Montréal.

Du confinement total aux mesures de restriction de déplacement, chaque pays met en place des mesures sanitaires assez similaires pour faire face à la crise du coronavirus. En effet, depuis l’annonce de la COVID-19 le 31 décembre dernier par le gouvernement chinois, le nombre de cas en dehors de Chine ne fait que se multiplier [1].  

Originaire de la région du Hubei, plus précisément de la ville de Wuhan, le virus traverse dorénavant les frontières aussi vite que les personnes se déplacent. Pour rappel, en 2018, plus de 21,1 millions de voyageurs [2] sont entrés au Canada excluant les ressortissants américains. Quant à ceux-ci, ils auraient effectué plus de 24,4 millions d’entrées [3]. Autant de risques de contagion, que le Canada a évidemment pris en compte rapidement puisqu’il constitue la plus grande menace depuis des siècles selon certains auteurs. Quelles sont les modifications législatives [4] et premières mesures réglementaires [5] qui ont été prises au Canada?

Dans un décret du 26 mars 2020 [6], le Canada interdit l’entrée au Canada tous les étrangers au sens de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [7] en provenance d’un pays étranger autre que les États-Unis grâce à l’article 58 de la Loi sur la mise en quarantaine [8]. De plus, les résidents et les citoyens canadiens ainsi que toutes personnes exemptées doivent, à leurs retours sur le territoire, s’isoler pendant une période de quatorze jours. Afin de préserver la santé publique, limiter l’introduction et la propagation de maladies transmissibles, ce délai correspond à la durée d’incubation du COVID-19.

Comme le souligne Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’Organisation mondiale de la Santé, dans une allocution du 26 mars 2020 « Physical distance doesn’t mean social distance » [9]. En effet, le caractère exceptionnel de la situation [10] fait dire que les droits de la personne en période de pandémie ne doivent pas être oubliés. Pour ne pas laisser de côté toute une partie de la population, le Canada a mis en place le plan d’intervention économique [11] dont l’objectif est de soutenir les particuliers et les familles, mais également les entreprises.

Toutefois, la professeure et vice-présidente du conseil d’administration de la LDL, Lucie Lamarche, en appelle à la vigilance du gouvernement canadien. Il ne faudrait pas que la crise sanitaire du COVID-19 en créée une autre. Selon elle, « cette inconsistance étatique constitue en soi une violation du droit humain à la protection sociale » [12].

Même si cette pandémie est décriée sans précédent [13], il faut souligner que si on remonte dans le temps, d’autres infections respiratoires ont sévi. Par exemple, la grippe espagnole a fait entre 20 à 50 millions de morts dans le monde de 1918 à 1919 selon l’Institut Pasteur [14].

L’Europe est l’épicentre du virus depuis le 13 mars selon l’OMS. Toutefois, la propagation du virus est fulgurante surtout aux États-Unis [15], le plaçant comme nouveau foyer principal de la pandémie. Le Canada a déjà pris des mesures drastiques avec son homologue [16]. On pense à la conclusion de l’accord frontalier temporaire entre les deux pays. Il s’agit quand même d’une des plus grandes frontières terrestres au monde avec plus de 8 890 km allant de l’Atlantique au Pacifique. Cette initiative est temporaire et cette mesure de réciprocité ne touche pas l’acheminement des biens dits essentiels, c’est-à-dire les denrées alimentaires, les médicaments essentiels ou encore le carburant. Ni même les déplacements jugés essentiels, à savoir les déplacements pour des raisons urgentes soit les traversées autres que celles effectuées à des fins touristiques ou récréatives [17].

Cette pandémie occupe l’agenda des gouvernements, mais aussi des organisations internationales. On en oublierait presque que d’autres problématiques du commerce international occupaient l’actualité il y a peu. Par exemple, la rupture entre l’Arabie Saoudite et la Russie [18] à cause de leurs querelles sur le prix du pétrole. Évidemment, la tragédie humaine [19] que représente le COVID-19 était à l’ordre du jour du G7. Les leaders appelant le G20 à prendre conscience de toutes les conséquences de cette pandémie, car elles ne seront pas que sanitaires. Dans l’avenir, elles risquent d’être économiques et sociales. Le directeur général de l’OMS conjure les leaders mondiaux de faire front commun, mais est-ce que ceci est envisageable?

Actuellement, la fermeture des frontières concrétise le combat de tous les jours d’une poignée de partis politiques dans le monde. Ceux-ci se battent contre la globalisation et pour le retour d’un certain nationalisme [20]. La réaction des différents pays surtout ceux appartenant à l’Espace Schengen étant de fermer leurs frontières [21]. Ceci s’ajoute au pic de mesures protectionnistes [22] qui ont été mises en œuvre depuis 2018 et 2019 dans le monde [23]. Les prochains développements pourront répondre à cette interrogation, est-il question de protectionnisme ou d’une réelle urgence sanitaire?


  1. Johns Hopkins Coronavirus Resource Center, Coronavirus COVID-19 Global cases by the Center for system Science and Engineering (CSSE), Université Johns-Hopkins.
  2. Statistique Canada, Travel between Canada and other countries, December 2018, 21 février 2019.
  3. Id.
  4. Loi concernant certaines mesures en réponse à la COVID-19, projet de loi C-13, 1ere session., 43e légis. (Can.)
  5. Pour plus d’informations, l’équipe du Centre d’accès à l’information juridique a regroupé l’information juridique sur le COVID-19 avec notamment une liste des législations applicables, voir : CAIJ, « COVID-19 », 29 mars 2020.
  6. Décret visant la réduction du risque d’exposition à la COVID-19 au Canada (interdiction d’entrée au Canada en provenance d’un pays étranger autre que les États-Unis), C.P 2020-0184, (Gaz. Can. II).
  7. Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch.27.
  8.  Loi sur la mise en quarantaine, L.C. 2005, ch. 20.
  9. Allocution du Directeur général de l’OMS, le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, au Sommet extraordinaire des dirigeants du G20 sur la COVID-19, 16 mars 2020.
  10. Alexandra Pierre et Christian Nadeau, « Les droits de la personne en temps de pandémie », Le Devoir, 24 mars 2020.
  11. Gouvernement du Canada, Plan d’intervention économique du Canada à l’égard de la COVID-19, 29 mars 2020.
  12. Lucie Lamarche, « La protection sociale en temps de crise sanitaire : ne pas ajouter une crise à la crise ! », LDL, 23 mars 2020.
  13. Justin Trudeau, Déclaration du Sommet extraordinaire des dirigeants du G20 sur la COVID-19, Ottawa, 26 mars 2020.
  14. Institut Pasteur, « Grippe », 25 mars 2020.
  15. CNN Health, Tracking Covid-19 cases in the US, 30 mars.
  16. Justin Trudeau, Initiative conjointe entre les États-Unis et le Canada : Restriction temporaire visant les voyageurs traversant la frontière entre les États-Unis et le Canada à des fins non essentielles, Ottawa, 20 mars 2020.
  17. Id.
  18. Andrews Higgins and Andrew E. Kramer, Behind the Russia-Saudi Breakup, Calculations and Miscalculations, The New-York Times, 10 mars 2020.
  19. Élysée, Coronavirus : déclaration des chefs d’État et de gouvernement du G7, 16 mars 2020.
  20. Richard Partington, Coronavirus exposes the danger of embracing protectionism, The Guardian, 01 mars 2020.
  21. Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement, While tarrifs grab the headlines, NTMs are where the action is, Genève, (15 décembre 2019).
  22. Tamara Thiessen, Coronavirus: Some of these 24 European countries have closed their borders to tourists, Forbes, 14 mars 2020.
  23. Grégoire Normand, Le commerce Mondial confronté aux tensions protectionnistes, 05 février 2020.