COVID-19 : distanciation sociale et constats d’infraction

Par François Boillat-Madfouny, étudiant à la maîtrise en droit criminel à la Faculté de droit de l’Université de Montréal

Dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire actuelle, de nombreuses mesures ont été prises par les autorités publiques provinciales. Des consignes de distinction sociale ont été données et des sanctions en cas de non-respect ont été évoquées. Dans certains cas, des constats d’infractions ont été émis. L’objectif de ce court texte est d’expliquer le raisonnement juridique légitimant leur émission.

En vertu de l’article 118 de la Loi sur la santé publique [1], le gouvernement provincial a émis, le 13 mars 2020, un décret par lequel il déclarait l’état d’urgence sanitaire [2] au Québec :

118. Le gouvernement peut déclarer un état d’urgence sanitaire dans tout ou partie du territoire québécois lorsqu’une menace grave à la santé de la population, réelle ou imminente, exige l’application immédiate de certaines mesures prévues à l’article 123 pour protéger la santé de la population. [3]

Les pouvoirs dont bénéficient les autorités publiques lors d’un état d’urgence sanitaire sont très larges :

123. Au cours de l’état d’urgence sanitaire, malgré toute disposition contraire, le gouvernement ou le ministre, s’il a été habilité, peut, sans délai et sans formalité, pour protéger la santé de la population: […] 8° ordonner toute autre mesure nécessaire pour protéger la santé de la population. [4] (nos soulignements)

C’est en vertu de ces nouveaux pouvoirs, découlant principalement de paragraphe 8, que le gouvernement du Québec a imposé des consignes de distanciation sociale et de confinement aux Québécois. Plus spécifiquement, ses consignes tirent leur source du Décret 222-2020, dont voici l’extrait pertinent :

Est interdit tout rassemblement intérieur ou extérieur, sauf :

s’il est requis, dans un milieu de travail, pour l’exercice d’une activité qui n’est pas visée par une suspension prévue par décret ou arrêté, y compris ceux pris subséquemment;

s’il est requis pour obtenir un service ou un bien d’une personne, d’un établissement, d’une entreprise ou d’un autre organisme dont les activités ne sont pas suspendues par décret ou arrêté, y compris ceux pris subséquemment, ou pour offrir un service ou un bien à l’un de ceux-ci;

dans un moyen de transport;

dans le cas d’un rassemblement extérieur, dans l’une des situations suivantes :

1. si les personnes rassemblées sont des occupants d’une même résidence privée ou de ce qui en tient lieu;

2. si une personne reçoit d’une autre personne un service ou son soutien;

3. si une distance minimale de deux mètres est maintenue entre les personnes rassemblées;

dans une résidence privée ou dans ce qui en tient lieu, entre ses occupants et toute autre personne leur offrant un service ou dont le soutien est requis.

Pour l’application des paragraphes 1° à 3°, les personnes rassemblées maintiennent, dans la mesure du possible, une distance minimale de deux mètres entre elles.

De plus, pour l’application du paragraphe 5°, les personnes offrant un service ou apportant un soutien maintiennent, dans la mesure du possible, une distance minimale de deux mètres avec les occupants. » [5]

Essentiellement, le décret interdit aux Québécois de se rassembler, sauf exception. Selon l’article 121 L.S.P., le décret est entré en vigueur au moment même de sa promulgation. Ainsi, à partir du 20 mars 2020, quiconque ne respecte pas cette consigne enfreint l’article 139 L.S.P. et peut se voir imposer l’amende qui y est prévue, soit entre 1000 $ et 6000 $, en sus des frais judiciaires :

139. Commet une infraction et est passible d’une amende de 1 000 $ à 6 000 $ quiconque, dans le cadre de l’application du chapitre XI [6], entrave ou gêne le ministre, le directeur national de santé publique, un directeur de santé publique ou une personne autorisée à agir en leur nom, refuse d’obéir à un ordre que l’un d’eux est en droit de donner, refuse de donner accès ou de communiquer un renseignement ou un document que l’un d’eux est en droit d’exiger ou cache ou détruit un document ou toute autre chose utile à l’exercice de leurs fonctions. » [7] (nos soulignements)

Les agents de la paix de tous les corps municipaux du Québec ont le pouvoir d’émettre de tels constats d’infraction sur-le-champ. D’où tirent-ils cette prérogative?

En effet, sauf exception, la règle veut que seul le poursuivant puisse délivrer un constat d’infraction. Le poursuivant inclut notamment le Directeur des poursuites pénales et criminelles (DPCP) ainsi que toute autre entité désignée en vertu d’une autre loi, telle que, par exemple, la Direction des poursuites pénales et criminelles (DPPC) de la Ville de Montréal [8].

Le Code de procédure pénale permet toutefois au poursuivant d’autoriser une autre personne à délivrer un constat d’infraction. C’est ce qu’on doit comprendre de l’article 147 :

147. Le constat d’infraction indique, le cas échéant, le nom et la qualité de la personne qui, avec l’autorisation du poursuivant, a délivré le constat.

L’autorisation de délivrer un constat que peut donner le poursuivant est faite généralement ou spécialement et par écrit. Elle indique en outre les infractions ou catégories d’infractions pour lesquelles elle est donnée. 

Une autorisation « générale » est celle qui autorise, par exemple, les agents de la paix du Service de police de la Ville de Montréal à délivrer des constats d’infraction en vertu du Code de la sécurité routière. Celle-ci leur permet d’émettre sur-le-champ un constat d’infraction et de le signifier au défendeur en lui remettant un double du constat en vertu de l’article 157 al. 1 C.p.p., ou en lui faisant acheminer par la poste [9].

En l’espèce, un constat d’infraction à la Loi sur la santé publique doit donc en principe être délivré par le poursuivant lui-même, sauf autorisation écrite de ce dernier. C’est pourquoi dans les premiers jours de la crise covidienne, les autorités publiques faisaient référence à la possibilité pour les agents de la paix de rédiger des rapports d’infraction généraux qui devront être soumis à une ou un procureur pour autorisation (constat d’infraction « longs » [10]. Toutefois, la situation a évolué. En date du 3 avril 2020, le porte-parole du DPCP annonce que les agents du SPVM, ainsi que de la SQ, ont le pouvoir d’émettre des constats sur-le-champ en vertu de l’article 123(8) L.S.P. :

Le 3 avril 2020, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) a autorisé la SQ et le SPVM à délivrer des constats d’infraction abrégés (constats portatifs) pour l’infraction prévue à l’article 123 paragraphe 8 de la Loi sur la santé publique qui interdit les rassemblements intérieurs et extérieurs, explique Me Jean Pascal Boucher, porte-parole du DPCP. Comme il s’agit d’un constat portatif signifié sur-le-champ par l’agent de la paix, l’amende prévue est de 1000 $. [11]

En date du 7 avril, le porte-parole du DPCP annonce que ce pouvoir d’émettre des constats en vertu de la L.S.P. est étendu à tous les corps municipaux de la province :

Aujourd’hui, le Directeur des poursuites criminelles et pénales a autorisé tous les corps de police municipaux à délivrer des constats d’infraction abrégés (constats portatifs) pour l’infraction prévue à l’article 123 paragraphe 8 de la Loi sur la santé publique qui interdit les rassemblements intérieurs et extérieurs. [12]

C’est donc par l’entremise de l’article 147 C.p.p. que le DPCP, en tant que poursuivant, a autorisé les agents de la paix à délivrer eux-mêmes les constats en vertu de la L.S.P. La logique de cette décision est par ailleurs évidente. Par cette autorisation, les agents peuvent donc émettre sur-le-champ des constats d’infraction, rendant la chose bien plus rapidement dissuasive dans un contexte où une immédiateté d’action est cruciale. Notons toutefois que les agents de la paix ont toujours le loisir de soumettre ces dossiers au poursuivant afin de lui laisser le soin de décider de la suffisance de la preuve et de l’autorisation de poursuivre.

Bref, voilà donc un aperçu de la logique juridique permettant aux agents de la paix agissant sur le territoire québécois d’appliquer les règles de distanciation sociale et de les sanctionner, lorsqu’opportun. Notons que les individus ayant reçu de tels constats pourront, comme tout autre constat, contester leur culpabilité. Je soupçonne que certains tenteront notamment de plaider que les faits rapportés par le témoin policier sont inexacts, que la preuve de la poursuite n’est pas assez précise, qu’il y a eu erreur provoquée par une personne en autorité [13], ou même que l’émission de tels constats est inconstitutionnelle. Ces questions dépassent toutefois le cadre de ce texte.


  1. Loi sur la santé publique, RLRQ c. S-2.2.
  2. GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, Décret 177-2020, 13 mars 2020.
  3. L.S.P., art. 118. Vous trouverez ici le dernier décret par lequel l’état d’urgence sanitaire a été renouvelé pour une nouvelle période de 10 jours (GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, Décret 478-2020, 22 avril 2020).
  4. L.S.P., art. 123.
  5. GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, Décret 222-2020, 20 mars 2020.
  6. Le chapitre XI s’intitule « Chapitre XI Pouvoirs des autorités de santé publique et du gouvernement en cas de menace à la santé de la population » et inclut les articles 118 et 123 précités.
  7. Les articles 141 et 142 prévoient d’autre façons de commettre une infraction : « 141. Commet une infraction quiconque aide ou, par un encouragement, un conseil, un consentement, une autorisation ou un ordre, amène une autre personne à commettre une infraction visée par la présente loi. Une personne déclarée coupable en vertu du présent article est passible de la même peine que celle prévue pour l’infraction qu’elle a aidé ou amené à commettre. » « 142. En cas de récidive, les minima et maxima des amendes prévues par la présente loi sont portés au double. »
  8. Code de procédure pénale, art. 9.
  9. Id, art. 157 al. 2, faisant référence à l’article 19 C.p.p.
  10. Isabelle RICHER, « Rassemblements interdits : une contravention pas comme les autres », Radio-Canada, 3 avril 2020.
  11. Pierre CHAPDELAINE DE MONTVALON, « 1000 $ d’amende sur-le-champ pour un rassemblement interdit », Radio-Canada, 4 avril 2020.
  12. Daniel RENAUD, « Tous les corps de police peuvent donner des constats d’infraction abrégés », La Presse, 7 avril 2020; Jérôme LABBÉ, « Distanciation : le DPCP élargit le recours aux amendes de 1000 $ », , Radio-Canada, 7 avril 2020.
  13. Lévis (Ville) c. Tétreault; Lévis (Ville) c. 2629-4470 Québec inc., 2006 CSC 12.