Les modes de poursuite des infractions criminelles

Par Marc-Étienne O’Brien, avocat et doctorant à l’Université Laval et à l’Université Toulouse 1 Capitole

En droit pénal canadien, l’infraction issue de la compétence fédérale en matière criminelle est un « crime ». Les autres infractions, qu’elles soient provinciales ou fédérales, sont des infractions « pénales » [1], « réglementaires » ou « statutaires ». L’infraction réglementaire est poursuivie à titre d’infraction punissable par déclaration de culpabilité par procédure sommaire ou de contravention [2]. L’infraction criminelle, quant à elle, est poursuivie à titre d’acte criminel [3] (alors appelée « acte criminel ») ou d’infraction punissable par déclaration de culpabilité par procédure sommaire (alors appelée « infraction sommaire »).

Certains crimes particulièrement graves, comme la haute trahison, l’intimidation du Parlement ou d’une législature, le parjure, la fabrication de preuve, le meurtre, les voies de fait graves, la torture, l’enlèvement et l’encouragement au génocide, peuvent seulement être poursuivis par acte criminel [4]. Des crimes de gravité relative, comme l’aide au déserteur, la participation à un attroupement illégal et le rodage de nuit, peuvent seulement être poursuivis par procédure sommaire [5]. Pour autant, la majorité des crimes, comme le sabotage, le harcèlement criminel, les menaces, les voies de fait simples, les voies de fait armées, l’agression sexuelle, la conduite avec les facultés affaiblies, le refus d’obtempérer, la conduite dangereuse, le vol et l’outrage au tribunal, peut emprunter l’un ou l’autre mode de poursuite [6]. Ces infractions sont dites « hybrides » ou « mixtes ».

Pour bien comprendre les modes de poursuite des infractions criminelles, on doit s’intéresser à leurs principales fonctions et caractéristiques.

Les fonctions des modes de poursuite

Avec la peine maximale et la peine minimale, le mode de poursuite exprime la gravité objective de l’infraction, c’est-à-dire la réprobation que la société éprouve à l’égard d’un type de comportement [7]. Cette fonction est particulièrement importante puisque le Canada, contrairement aux États-Unis et à la France, par exemple, ne classifie pas les infractions en fonction de leur gravité. En effet, la dichotomie américaine « misdemeanor/felony » est inexistante en droit canadien et les termes « contravention », « délit » et « crime », employés dans la catégorisation française des infractions, n’ont pas le même sens en droit pénal canadien.

Au lieu d’exprimer la gravité objective de l’infraction en retenant un mode de poursuite donné, le législateur peut assortir une même infraction des deux modes de poursuites. Il confie alors le choix du mode de poursuite au poursuivant [8], qui peut adapter le mode de poursuite à la gravité subjective de l’infraction [9], c’est-à-dire au degré de « culpabilité morale du délinquant » qui ressort des faits de l’affaire [10]. Cette délégation est particulièrement opportune lorsque l’infraction est définie de manière si large qu’elle sanctionne tant des comportements graves que des comportements de gravité relative [11], un phénomène extrêmement courant en droit canadien.

La division des infractions en fonction des modes de poursuite sert aussi des intérêts pratiques. La procédure sommaire permet à l’État d’évacuer rapidement et à faible coût les dossiers qui sont routiniers, peu complexes ou peu graves, ce qui libère des ressources pour le traitement des dossiers les plus graves, complexes ou sensibles.

Ces fonctions expliquent l’existence de profondes différences entre la poursuite par procédure sommaire et la poursuite par acte d’accusation, qui tiennent essentiellement au fait que la première est plus simple, rapide et clémente que la seconde.

Les différences entre les modes de poursuite

Un premier ensemble de différences entre les deux modes de poursuite se situe sur le plan de la procédure. En particulier, la procédure est beaucoup plus simple lorsque l’infraction est poursuivie par procédure sommaire. Le défendeur n’a pas le choix du forum, l’affaire relève de la juridiction de la Cour du Québec ou d’une cour municipale, l’enquête préliminaire [12] et le jugement par jury sont écartés et la présence de l’accusé n’est pas requise tant qu’il est représenté par avocat et que le tribunal n’ordonne pas sa présence.

Inversement, la procédure est plus complexe lorsque l’infraction est poursuivie par acte criminel. Quelques-unes des infractions les plus graves – comme le meurtre, le complot pour meurtre et la complicité après le fait pour meurtre – relèvent de la juridiction exclusive de la Cour supérieure [13]. Dans ce premier cas, le procès a lieu devant un juge de la Cour supérieure et un jury et l’accusé peut demander la tenue de l’enquête préliminaire. Quelques-unes des infractions les moins graves – comme les vols, fraudes, escroqueries et recels de faible valeur et le défaut de se conformer à une ordonnance de probation – relèvent de la compétence exclusive de la Cour du Québec [14]. Dans ce second cas, l’enquête préliminaire n’est pas tenue et l’accusé est jugé par un juge seul. Dans tous les autres cas, l’accusé peut choisir d’être jugé :

– devant un juge de la Cour supérieure et un jury, avec la possibilité que l’enquête préliminaire soit tenue;

– devant un juge de la Cour du Québec, avec la possibilité que l’enquête préliminaire soit tenue; ou

– devant un juge de la Cour du Québec, sans la possibilité que l’enquête préliminaire soit tenue [15].

Dans tous les cas, l’accusé est tenu d’être présent.

Un second ensemble de différences a trait à la peine qui peut être imposée au contrevenant. Les actes criminels sont passibles de peines d’emprisonnement plus élevées que les infractions sommaires. En effet, un acte criminel peut être passible de l’emprisonnement à perpétuité, alors qu’une infraction sommaire est, tout au plus, passible d’un emprisonnement de deux ans moins un jour. Ce principe tient aussi en matière d’infractions hybrides, où la poursuite par acte criminel est assortie d’une peine plus sévère que la poursuite par procédure sommaire. Les peines maximale et minimale dont est assortie l’infraction de contacts sexuels, par exemple, sont respectivement sept fois et quatre fois plus élevées lorsque le mode de poursuite est l’acte criminel plutôt que la procédure sommaire [16]. Lorsque le législateur omet d’assortir l’infraction ou un de ses modes de poursuite d’une peine spécifique, la peine maximale applicable est un emprisonnement de cinq ans ou de deux ans moins un jour selon que l’infraction est poursuivie par acte criminel ou par procédure sommaire [17]. Des règles identiques s’appliquent à l’emprisonnement pour défaut de paiement d’une amende [18].

Une autre différence importante a trait à la prescription. Les infractions poursuivies par acte criminel sont généralement imprescriptibles, alors que les infractions poursuivies par procédure sommaire se prescrivent douze mois après la commission des faits [19]. Cela dit, l’infraction de trahison, qui peut seulement être poursuivie par acte criminel, se prescrit trois ans après la commission des faits [20]. Aussi, le poursuivant et le défendeur peuvent s’entendre pour renoncer à la prescription d’une infraction sommaire [21]. Une telle entente est à l’avantage du défendeur lorsque l’infraction est hybride et que le poursuivant laisse entendre que, à défaut d’entente, il procédera par acte criminel.

Parmi les différences, on compte aussi le fait que seule la condamnation pour une infraction sommaire peut entraîner le paiement de frais de justice [22].

Finalement, l’utilisation d’un mode de poursuite ou de l’autre est censée avoir un impact terminologique, bien que cela ne soit pas toujours rigoureusement respecté. Celui qui fait face à un acte d’accusation est l’« accusé », alors que celui qui fait face à une poursuite par procédure sommaire est plutôt le « défendeur ». Cette différence n’est pas anodine, le premier terme étant plus stigmatisant que le second, qui est d’ailleurs employé dans le cadre des poursuites civiles.

Conclusion

Le mode de poursuite exprime la gravité objective ou subjective de l’infraction, selon qu’il est choisi par le législateur ou par le poursuivant, et contribue à optimiser les ressources dont dispose le système de justice pénale. Ce choix entre la poursuite par acte criminel et la procédure sommaire est lourd de conséquences pour le contrevenant, surtout sur le plan du mode de jugement, des procédures antérieures au procès, des peines minimales et maximales applicables et de la prescription.


  1. Au sens strict.
  2. Cf. Loi sur les contraventions, L.C » 1992, ch. 47; Code de procédure pénale, RLRQ, c-251.
  3. Les expressions « coupable d’un acte criminel » et « infraction punissable sur déclaration de culpabilité par voie de mise en accusation » sont employées de manière interchangeable par le législateur.
  4. Art. 47(1), 51, 132, 137, 235(1), 268(2), 269.1, 279 et 318 C.cr.
  5. Art. 54, 66(1) et 177 C.cr.
  6. Art. 52(1), 264, 264.1, 266, 267, 271, 320.19(1) et (5), 334 C.cr. ; R. c. Vermette, [1987] 1 R.C.S. 577, 582-584 (outrage au tribunal).
  7. Cf. R. c. Fedele, 2018 QCCA 1901, par. 39.
  8. R. c. Dudley, 2009 CSC 58, par. 1 et 17.
  9. Cf. Id., par. 46.
  10. R. c. Fedele, préc., note 7. Au Québec, le poursuivant enjoint à ses procureurs de privilégier la poursuite par procédure sommaire des infractions hybrides, à moins que des circonstances – comme les antécédents judiciaires du suspect ou la gravité subjective de l’infraction – justifient de plutôt procéder par mise en accusation, DPCP, Directive ACC-3 « Accusation – Décision d’intenter et de continuer une poursuite », 25 janvier 2019, par. 20.
  11. Ou même anodins, cf. Marc-Étienne O’BRIEN, « Unveiling the Mechanisms Behind Judicial Responses to De Minimis Applications in Trial Level Assault Cases », (2020) 68-3 CLQ 249.
  12. C’est l’étape judiciaire antérieure au procès dont la fonction est de vérifier que la preuve est suffisante pour que l’accusé soit cité à procès.
  13. Art. 469 C.cr.
  14. Art. 553 C.cr.
  15. Ces trois options s’appellent respectivement le jugement par la « Cour supérieure de juridiction criminelle », le procès devant « juge seul » et le procès devant un « juge de la cour provinciale ».
  16. Art. 151 C.cr.
  17. Art. 743 et 787(1) C.cr.
  18. Art. 734(5)b) C.cr.
  19. Art. 786(2) C.cr.
  20. Art. 46(2)a) C.cr.
  21. Art. 786(2) C.cr.
  22. Art. 809 C.cr.; Tarif en matière criminelle, RLRQ, c. CCR, r. 2.