Les bonnes pratiques de communication à l’ère de l’enseignement à distance
Par Marc-Étienne O’Brien, avocat et doctorant à l’Université Laval et à l’Université Toulouse 1 Capitole
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La pandémie actuelle bouleverse le milieu académique, dont la plupart des activités sont réalisées à distance depuis la fermeture des campus en mars dernier [1]. Cet automne, la plupart des facultés de droit offriront un enseignement à distance ou hybride [2]. Cette nouvelle réalité entraîne de nombreux défis et occasionne parfois des conflits entre les enseignants et leurs élèves. En particulier, l’écrit électronique peut poser problème.
S’il permet à l’enseignant et à l’étudiant de communiquer de manière instantanée, l’écrit électronique est dénué du contexte que permet une interaction en personne, qui colore largement les propos des interlocuteurs. Il ne se prête pas non plus au même type d’échange qu’une conversation en personne, où il est aisé de demander de rapides précisions. L’écrit électronique introduit aussi une certaine distance entre les interlocuteurs qui risquent de choisir plus prudemment leurs propos, qu’ils savent être enregistrés de manière permanente.
Cela étant, l’on comprend aisément que l’écrit électronique (courriel, message de forum, etc.) contribue parfois à l’émergence de conflits qui n’auraient pas eu lieu autrement. Il y a toutefois moyen de prévenir ces conflits ou d’en réduire l’ampleur par l’adoption de bonnes pratiques de communication, de part et d’autre.
Les bonnes pratiques communes
L’enseignant et l’élève gagnent tous deux à respecter les règles de courtoisie, à s’exprimer de manière claire, à adopter les techniques de l’interprétation charitable et de la contextualisation et à éviter d’écrire tout en majuscules ou avec des points d’exclamation.
1) Respecter les règles de courtoisie
Dans le contexte académique, un premier message doit commencer par la salutation introductive « Bonjour [titre] [nom] ». Il préférable que la réponse à ce message la comporte aussi. Après cela, la salutation introductive n’est nécessaire que lorsqu’une nouvelle conversation est initiée.
Un message comporte aussi le corps du texte, une formule d’au revoir et le nom complet de l’expéditeur. Les formules appropriées d’au revoir sont très nombreuses. Les plus courantes sont « Cordialement », « Bien à vous », « Bonne journée/soirée », « Sincèrement » et « Sincères salutations ». Des formules telles que « Merci », « Je vous remercie d’avance », « Au plaisir » et « Vous souhaitant [quelque chose] » peuvent aussi être appropriées, selon les circonstances.
Une dernière règle de courtoisie consiste à utiliser le vouvoiement. Cette règle peut être ignorée lorsqu’un des interlocuteurs utilise ou accepte le tutoiement ou lorsque le tutoiement est communément accepté dans le milieu en question.
2) S’exprimer clairement
La concision et la simplicité favorisent la clarté des écrits, c’est bien connu. La concision implique que l’auteur se limite à ce qui est nécessaire pour véhiculer son propos. Le texte doit être élagué des apartés et des détails superflus. La simplicité recoupe largement la concision et exige en outre que l’auteur emprunte des termes accessibles (avez-vous buté sur le terme aparté?), emploie des phrases courtes, favorise l’emploi de termes positifs plutôt que négatifs et emprunte un style fluide [3].
3) Interpréter le message de manière charitable
Une des grandes difficultés de la communication écrite est l’absence des indices habituels qui colorent les mots employés, comme le regard de son interlocuteur, son ton et une panoplie d’autres indices non verbaux. Parfois, le ton est tout de même clair, comme lorsque l’interlocuteur utilise des points d’exclamation, écrit des mots tout en majuscules, profère des injures, multiplie les accusations, etc. D’autres fois, par contre, le ton est ambigu. Il convient dans ce cas de donner à son interlocuteur le bénéfice du doute et de retenir l’interprétation la plus acceptable de ses propos. Cet exercice exige de prendre du recul par rapport au message et de le relire sur un ton respectueux et en assumant de bonnes intentions [4].
4) Contextualiser le message
Parfois, un message est effectivement déplacé et cela peut perturber celui qui le reçoit. À ce stade, il est utile de reconnaître que certains faits peuvent expliquer et même excuser en partie l’envoi d’un message déplacé.
Peut-être l’enseignant dont la réponse est sèche est surchargé plutôt qu’agacé. Peut-être l’étudiant qui envoie un courriel déplacé a des capacités de communication limitées, en raison de difficultés en lien avec la technologie, la langue ou la culture, par exemple. Peut-être que son attitude est en partie due à des problématiques personnelles graves comme la maladie ou le deuil, qui invitent une réponse compassionnelle. Peut-être que l’étudiant a été induit en erreur. Peut-être qu’il est l’objet d’un traitement inéquitable et qu’il a raison d’être indigné, etc.
Si des circonstances comme celles-là ne justifient certainement pas l’envoi de messages hostiles ou autrement déplacés, elles permettent toutefois à celui qui les reçoit de s’en détacher et de les approcher plus sereinement, ce qui facilite le dialogue.
5) Éviter d’écrire tout en majuscules ou avec des points d’exclamation
Il importe parfois d’attirer l’attention du lecteur sur un point en particulier. Il est tout à fait inapproprié, toutefois, d’utiliser les majuscules à cette fin, car un mot écrit en majuscules est lu COMME S’IL ÉTAIT CRIÉ [5]. Il est plus convenable d’utiliser les guillemets ou le soulignement [6]. Plus rarement, le gras peut aussi être approprié, particulièrement lorsqu’il est employé de manière neutre, pour faire ressortir une date importante, par exemple.
Dans le même ordre d’idée, il convient d’éviter les points d’exclamation, surtout lorsqu’ils sont multiples et qu’ils appuient un propos critique.
Les bonnes pratiques de l’enseignant
Outre suivre les règles communes, l’enseignant devrait informer les étudiants de ses attentes, des bonnes pratiques à suivre et des comportements prohibés par le biais d’une nétiquette, prendre le devant de problématiques prévisibles et faire preuve de transparence et de retenue.
1) Avoir une nétiquette
Les enseignants dont les activités se déroulent à distance devraient se munir d’une nétiquette, d’un règlement d’éthique pour les interactions électroniques. La nétiquette informe les étudiants des attentes de l’enseignant, des bonnes pratiques à suivre et des comportements prohibés. Elle permet aussi à l’enseignant de rappeler facilement un étudiant à l’ordre en le renvoyant au passage pertinent de la nétiquette.
En milieu académique, une nétiquette peut indiquer que :
- Les échanges doivent se dérouler dans le respect et la cordialité;
- L’étudiant est invité à s’exprimer de manière concise et claire;
- L’enseignant ne tolère aucune hostilité;
- Les questions relatives aux évaluations doivent être soumises un certain temps avant l’évaluation (deux jours ouvrables, par ex.);
- Les échanges sont sujets à un certain délai de réponse (de deux jours ouvrables, par ex.);
- L’enseignant répond de manière prioritaire à certaines questions (celles qui portent sur le contenu du cours, par ex.);
- L’enseignant ne répond pas à certaines questions (celles qui portent sur le contenu ou sur la forme des évaluations, par ex.);
- La contestation des notes doit suivre une certaine procédure (la procédure facultaire, par ex.);
- La participation sur le forum est prohibée durant une certaine période (celle des évaluations, par ex.);
- Etc.
2) Être proactif
La nétiquette n’est, en fait, qu’une application du principe de la proactivité, qui nous informe qu’il est préférable de prévenir les problèmes que de les gérer.
En particulier, le principe de la proactivité invite l’enseignant qui vit une situation problématique à faire preuve d’introspection et à se demander s’il pourrait prévenir l’émergence de situations semblables dans le futur.
Il arrive, par exemple, que l’enseignant se trompe dans la compilation des notes, ce qui peut pénaliser ou frustrer l’étudiant et embarrasser l’enseignant. L’enseignant proactif prend acte du fait que l’erreur de compilation est difficile à éradiquer complètement, encourage ses étudiants à faire le compte de leurs points dès qu’ils reçoivent leur copie et les informe qu’une erreur de compilation, toujours possible, sera promptement corrigée.
Il arrive aussi que l’enseignant soit débordé et que sa correspondance ou la correction des évaluations accuse un certain retard. Dans ces circonstances, il est préférable que l’enseignant informe les étudiants dès que possible.
3) Faire preuve de transparence
Une source importante de conflit est le sentiment d’injustice de l’étudiant qui estime avoir été traité de manière inéquitable. La bonne pratique, dans un tel cas, est pour l’enseignant de faire preuve de transparence, d’expliquer son raisonnement à l’étudiant.
Le danger est ici que l’étudiant rejette les explications et insiste, encore et encore. Lorsque ces échanges s’accompagnent d’un ton déplacé, l’expérience peut être particulièrement désagréable pour l’enseignant. Celui-ci peut alors poser ses limites et informer l’étudiant que les informations fournies sont complètes. Quant à l’étudiant, il devrait mettre les chances de son côté en adoptant les bonnes pratiques présentées plus bas.
4) Faire preuve de retenue
Il peut arriver qu’un enseignant reçoive un message inapproprié, car condescendant, injurieux, incisif, hostile, voire même criminel dans le cas des menaces et du harcèlement. Si la réponse appropriée varie d’un cas à l’autre, le principe demeure le même. En tout état de cause, l’enseignant doit faire preuve de retenue et choisir une réponse qui est proportionnelle à la conduite en cause. Selon la gravité de la conduite, l’enseignant peut retenir une interprétation charitable du message reçu, le contextualiser, solliciter l’avis d’un collègue, laisser la tension redescendre avant de répondre, ignorer le message, tenter une désescalade, rappeler l’étudiant à l’ordre ou renvoyer l’affaire à l’autorité compétente.
Les bonnes pratiques de l’étudiant
Comme l’enseignant, l’étudiant devrait suivre les règles communes, c’est-à-dire respecter les règles de courtoisie, s’exprimer clairement, interpréter charitablement ses échanges avec l’enseignant, contextualiser les messages vexants et éviter d’écrire tout en majuscules ou avec des points d’exclamation. L’étudiant devrait aussi faire preuve d’ouverture d’esprit et d’humilité, emprunter le « Message Je » et éviter l’envoi de messages irréfléchis.
1) Faire preuve d’ouverture d’esprit
L’étudiant devrait faire preuve d’ouverture d’esprit. Il s’agit ici de reconnaître qu’il y a plusieurs manières de bien faire les choses, qu’un choix pédagogique peut être approprié même si l’étudiant juge qu’il aurait été préférable de procéder autrement.
2) Faire preuve d’humilité
L’étudiant devrait faire preuve d’humilité. Il s’agit ici d’éviter les affirmations catégoriques, d’introduire de la nuance dans ses propos. Si les affirmations catégoriques – et en particulier celles qui sont accusatoires – placent l’étudiant en opposition avec l’enseignant, les propos nuancés invitent davantage au dialogue.
3) S’exprimer à la première personne (le « message je »)
Une bonne pratique connexe consiste à s’exprimer à la première personne, plutôt qu’à la deuxième ou troisième personne. La communication à la première personne permet de renseigner son interlocuteur au sujet de nos idées, envies, sentiments, impressions, etc. La communication à la deuxième ou troisième personne déborde le cadre de la subjectivité. Bien souvent, on invoque alors une réalité objective. Lorsque cette dernière est contestable, car fausse ou exagérée, elle peut indisposer l’interlocuteur et nuire au dialogue.
La différence entre parler à la première personne et à la deuxième ou troisième personne, c’est la différence entre « Tu ne fais aucun sens » et « Je ne comprends pas », entre « L’examen est injuste » et « J’ai eu de la difficulté à faire l’examen », entre « Le corrigé contient une erreur » et « Je crois que le corrigé contient une erreur ».
4) Éviter d’envoyer des messages dans la fleur de l’émotion
Il peut arriver que l’étudiant vive une forte émotion, comme l’indignation, l’effroi ou la colère, à la suite de la publication d’une note ou d’un échange avec l’enseignant, par exemple. Bien entendu, la pire chose qu’un étudiant puisse faire dans un tel cas est de rédiger immédiatement un courriel et de l’envoyer tel quel. L’idéal est plutôt d’envoyer un message réfléchi, un message retravaillé à tête reposée ou révisé par un tiers. Ce message véhicule les mêmes idées que le message écrit dans la fleur de l’émotion, mais de manière courtoise, claire, humble et non conflictuelle. Contrairement au message irréfléchi, le message réfléchi est rarement regretté [7].
Conclusion
Ces bonnes pratiques visent différents buts. Le respect des règles de courtoisie démontre un respect minimal envers son interlocuteur. La concision et la clarté favorisent la compréhension du message par la personne qui le reçoit. La substitution des guillemets, du soulignement ou du gras aux mots écrits tout en majuscules et l’élimination des points d’exclamation adoucissent le ton. L’ouverture d’esprit, l’humilité, l’emploi de la troisième personne et le polissage des messages émotifs amènent l’étudiant à dialoguer plutôt qu’à monologuer, à demander plutôt qu’à attaquer. Il s’agit ici de mettre la forme au service du fonds, de faire en sorte que l’enseignant soit disposé à assister l’étudiant plutôt que pressé de mettre fin à l’interaction. L’interprétation charitable et la contextualisation des messages échangés, l’utilisation d’une nétiquette et la proactivité, la transparence et la retenue de l’enseignant réduisent tant le nombre de conflits que l’ampleur des conflits qui émergent malgré tout.
Plus
généralement, il importe que l’enseignant et l’étudiant traitent les
communications académiques différemment de leurs autres communications
électroniques. La forme doit être plus soignée qu’elle ne l’est lors de
l’échange de « textos », le ton doit être plus dosé que dans la
section des commentaires d’un article du Journal du Québec et les
interlocuteurs doivent s’offrir le même respect élémentaire qu’ils le feraient en
personne tout en étant conscients des écueils propres à la communication
électronique.
- GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, « La pandémie de la COVID-19. Le gouvernement du Québec annonce la fermeture des écoles, des cégeps, des universités et des services de garde », 13 mars 2020.
- Florence TISON, « Une session d’automne en ligne pour les Facs de droit », Droit-inc, 14 mai 2020.
- Certains intègrent cette bonne pratique dans une nétiquette. Voir par exemple : UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL, « Guide de l’étudiant à distance 2020-2021 », 2020, p. 12 ; VILLE DE QUÉBEC, « Nétiquette », 2020 : « Soyez pertinent, veillez à ne pas vous écarter du sujet et évitez de publier le même contenu à répétition ».
- Il s’agit d’une adaptation du principe philosophique de la charité. Pour aller plus loin, voir Effectiviology, « The Principle of Charity: Assume the Best Interpretation of People’s Argument ».
- Cette bonne pratique peut être intégrée dans une nétiquette. Voir par exemple : OBSERVATOIRE DES MÉDIAS SOCIAUX EN RELATIONS PUBLIQUES, « Nétiquette » : « N’oubliez pas que l’utilisation des majuscules dans un message est considérée comme un cri. Un commentaire sera tout aussi bon s’il est écrit en minuscules. »; UNIVERSITÉ DE MONCTON, « Nétiquette », 2020 : « Utilisez les majuscules avec diligence. Les employer équivaut À CRIER. »; VILLE DE QUÉBEC, « Nétiquette », 2020 : « L’utilisation des majuscules dans un message est considérée comme un cri. Un commentaire sera tout aussi valable et beaucoup plus agréable à lire s’il est écrit en minuscules »; UNIVERSITÉ LAVAL, « Conditions générales d’utilisation » : « Nous privilégions […] l’écriture en minuscules […] Nous aimons moins […] l’écriture en majuscules: sur le Web, l’usage des majuscules équivaut aux cris et peut être interprété comme de l’agressivité. Un commentaire sera beaucoup plus agréable à lire s’il est écrit en minuscules ».
- Cf. CONSORTIUM NATIONAL DE FORMATION EN SANTÉ, VOLET UNIVERSITÉ D’OTTAWA,« Guide de soutien à la formation à distance », 2011, p. 79 ; UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL, « Guide de l’étudiant à distance 2020-2021 », préc., note 3, p. 12.
- Cette bonne pratique peut être intégrée dans une nétiquette, comme le fait l’Université de Moncton, préc., note 5 : « Avant d’envoyer un message, il est fortement suggéré d’en faire la relecture. Cela permet non seulement de corriger des erreurs, mais aussi de vérifier que votre message soit clair et bien interprété ».