L’ordonnance de probation et son rôle dans le cadre de la détermination de la peine d’un contrevenant
Par François Boillat-Madfouny, étudiant à la maîtrise en droit criminel à la Faculté de droit de l’Université de Montréal
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Lorsqu’une juge se doit de déterminer la peine appropriée qu’elle devrait imposer à un contrevenant, elle peut notamment étudier l’opportunité d’émettre une ordonnance de probation en vertu des articles 731 et suivants du Code criminel (ci-après « C.cr. »). Ce court billet se veut d’abord un aperçu du régime encadrant ces ordonnances et les conditions qui les caractérisent. Toutefois, il vise surtout à sensibiliser les acteurs judiciaires quant à l’importance de confectionner ces dernières de façon réfléchie et avec retenue.
Ses modalités
Une ordonnance de probation n’est pas une peine en soi. Plutôt, elle accompagne (ou suit) l’imposition d’une peine, notamment et fréquemment ce qu’on appelle une « sentence suspendue », c’est-à-dire le fait de surseoir au prononcé de la peine. L’article 731 C.cr. se lit comme suit :
731 (1) Lorsqu’une personne est déclarée coupable d’une infraction, le tribunal peut, vu l’âge et la réputation du délinquant, la nature de l’infraction et les circonstances dans lesquelles elle a été commise :
a) dans le cas d’une infraction autre qu’une infraction pour laquelle une peine minimale est prévue par la loi, surseoir au prononcé de la peine et ordonner que le délinquant soit libéré selon les conditions prévues dans une ordonnance de probation;
b) en plus d’infliger une amende au délinquant ou de le condamner à un emprisonnement maximal de deux ans, ordonner que le délinquant se conforme aux conditions prévues dans une ordonnance de probation.
(2) Le tribunal peut aussi rendre une ordonnance de probation qui s’applique à l’accusé absous aux termes du paragraphe 730(1).
Dans le cadre de cette probation, certaines conditions sont obligatoires, telles que celles de résider à une adresse donnée et d’aviser le greffe de la Cour de tout changement [732.1(2)]. D’autres sont facultatives, telles que celle interdisant de communiquer, directement ou indirectement, avec une personne désignée [732.1(3)]. Le Code criminel permet également au Tribunal d’imposer toute condition « raisonnable qu’[il] considère souhaitable […] pour assurer la protection de la société et faciliter la réinsertion sociale du délinquant » [732.1(3)h]. L’éventail est large.
Si le contrevenant ne respecte pas l’une ou l’autre condition, ou s’il commet une nouvelle infraction, le Tribunal peut « révoquer l’ordonnance et infliger toute peine qui aurait pu être infligée si le prononcé de la peine n’avait pas été suspendu » [732.2 (5) (d)]. Par ailleurs, des accusations additionnelles peuvent également être portées pour défaut de s’être conformé à l’ordonnance de probation [733.1].
Son rôle
La jurisprudence explique que l’ordonnance de probation joue deux fonctions. D’abord, elle participe à la réhabilitation du contrevenant. Dans l’arrêt R. c. Proulx, la Cour suprême a sérieusement analysé les peines d’emprisonnement avec sursis [742.1 C.cr.], aussi connues sous le nom d’ « emprisonnement dans la collectivité ». Pour ce faire, elle a comparé son fonctionnement avec celui de l’ordonnance de probation. Elle a conclu qu’alors que les conditions de l’emprisonnement avec sursis avaient pour objectif de punir le contrevenant, les conditions d’une ordonnance de probation cherchaient plutôt à faciliter sa réhabilitation et sa réinsertion sociale [1].
Toutefois, la Cour est claire; les conditions d’une ordonnance de probation – et le respect de ces dernières – risquent inévitablement d’avoir un aspect punitif, bien qu’il ne s’agisse pas de son but fondamental :
[32] […] [TRADUCTION] Indépendamment du libellé de la disposition, l’ordonnance de probation vise foncièrement à influencer le comportement ultérieur du délinquant. Plus précisément, elle tend à assurer «la bonne conduite» du délinquant et à le dissuader de perpétrer d’autres infractions. Elle n’a pas spécialement pour objet de refléter la gravité de l’infraction ou le degré de culpabilité du délinquant. Son but n’est pas non plus de dénoncer l’infraction ou de dissuader généralement autrui de perpétrer la même infraction ou d’en commettre d’autres. Selon les conditions précises dont elle assortie, l’ordonnance peut avoir un aspect punitif, mais la punition n’est pas son objectif dominant ou intrinsèque, ni même, peut‑être, un objectif secondaire. L’aspect punitif participe plutôt d’une conséquence de l’observation, par le délinquant, d’une ou de plusieurs conditions précises qu’il peut trouver difficiles à respecter. [Je souligne.][2]
Ainsi, les conditions imposées dans le cadre d’une ordonnance de probation ne devraient jamais avoir comme but fondamental de punir le contrevenant. La Cour du Québec le rappelait récemment :
[153] […] Obviously, there may be a strong (and legitimate) punitive effect to having to respect probation conditions, insofar as the offender is restricted in his behaviour. However, the punishment is a mere by-product of the probation; it is not its dominant or inherent purpose. In other words, the “punishment” lies more in the nature of a consequence of an offender’s compliance with the conditions, which he may find it hard to comply.
[154] Thus, the condition may be incidentally punitive. However, its punitive aspect must be consequential and not by design. (notre soulignement) [3]
De telles conditions axées sur la punition sont illégales puisqu’elles vont à l’encontre de la logique de l’article 731 C.cr. Plusieurs d’entre elles ont d’ailleurs été invalidées par des cours d’appel canadiennes [4], notamment dans l’affaire R. v. Singh, où la Cour d’appel manitobaine explique qu’une condition résistera à l’examen d’une cour d’appel tant qu’elle n’est pas conçue pour être punitive, bien qu’elle puisse l’être quelque peu dans ses conséquences [5]. Elle avait ainsi décidé que le couvre-feu imposé devrait être annulé puisqu’il n’était que punitif. La Cour d’appel du Québec a conclu similairement à l’égard d’une condition imposant un couvre-feu qui ne contribuait aucunement à la réhabilitation du contrevenant [6]. D’autres conditions, telles qu’interdire la consommation d’alcool ou de drogue, ont parfois été invalidées au motif que la consommation n’a joué aucun rôle dans la commission de l’infraction pour laquelle le contrevenant avait été déclaré coupable [7].
Bref, la probation recherche d’abord la réhabilitation. Deuxièmement, une telle ordonnance cherche également à protéger le public [8]. C’est ce que la Cour d’appel de la Colombie-Britannique rappelle :
[26] While probation is primarily considered as an important tool for rehabilitation, the legislation is also designed to protect the public while the offender is in the community. » [9]
C’est également ce que la Cour suprême avait indiqué dans R. c. Shocker,
[10] […] Le probationnaire reste libre de vivre au sein de la collectivité, mais sa liberté est assujettie à certaines restrictions destinées à faciliter sa réadaptation et à assurer la protection de la société. » [10]
Par exemple, la condition interdisant au contrevenant de communiquer avec la victime est logiquement plus axée sur la protection de la société que sur la réinsertion du contrevenant.
En bref, la jurisprudence prévoit essentiellement que si les conditions d’une ordonnance servent l’une de ces fonctions, à savoir la réhabilitation du contrevenant ou la protection de la société, elles seront considérées comme raisonnables et légales [11]. Toutefois, cela ne veut pas dire qu’elles doivent servir les deux fonctions simultanément :
[28] A term of probation does not have to address both rehabilitation and protection of the public. In R. v. Timmins, 2006 BCCA 354 at para. 9, this Court concluded that a condition of probation is reasonable if it serves one or both of the stated purposes. [12]
Dit autrement, une condition sera raisonnable et légale si elle n’est pas conçue pour punir et s’il existe « un lien entre le délinquant, la protection de la société et la réinsertion sociale de ce délinquant » [13].
Le principe de retenue et l’imposition de conditions excessives vouant le contrevenant à l’échec
Un dernier mot sur l’imposition excessive de conditions, ainsi que sur l’imposition de conditions excessives. Récemment, la Cour suprême du Canada a réaffirmé l’importance de faire preuve de retenue dans le cadre de l’élaboration des conditions de remises en liberté provisoire, ainsi que dans la judiciarisation des bris de ces conditions [14]. Le message de la Cour suprême est clair : 1) limiter l’imposition de conditions excessives qui voueront un prévenu à l’échec et qui surcriminalise la commission de gestes qui ne seraient pas criminels en l’absence de ces conditions; 2) faire preuve de retenue dans la poursuite judiciaire du défaut de s’être conformé aux conditions imposées.
Bien que ces commentaires s’inscrivent dans le cadre des enquêtes sur remise en liberté provisoire, nous sommes d’avis qu’ils s’appliquent tout autant dans l’élaboration des conditions d’une ordonnance de probation. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a tenu des propos judicieux sur ce point :
[28] It is trite to say that a sentencing judge ought not to set up an accused for failure as part of a court order. Too often, numerous conditions are attached to probation orders, which make compliance more difficult for the accused, but whose purpose is difficult to understand on the specific facts of the case. They are neither focussed on rehabilitation, nor does the evidence in the case substantiate their need for ensuring public safety. [15]
Nous invitons fortement les juges, procureurs de la
poursuite et avocats de la défense à faire preuve de retenue – tant quant au
nombre de conditions que quant à leur nature – afin d’éviter de vouer à l’échec
le respect de l’ordonnance de probation. Il est certain que plusieurs
conditions sont fréquemment nécessaires et possèdent un lien clair entre le contrevenant,
sa réhabilitation et la protection de la société. Toutefois, lorsque ce lien
n’est pas si clair, ou lorsque la condition est essentiellement conçue pour
punir le contrevenant, nous sommes respectueusement d’avis qu’elle ne devrait
pas faire partie de l’ordonnance.
- R. c. Proulx, 2000 CSC 5, par. 23 et 36. Notons que les conditions imposées dans le cadre d’une remise en liberté provisoire jouent un rôle complètement différent. Dans un tel contexte, les conditions se doivent de servir l’un des trois motifs prévus au paragraphe 515(10) C.cr. : assurer la présence du prévenu au tribunal; assurer la protection et sécurité du public; maintenir la confiance du public dans l’administration de la justice (R. c. St-Cloud, 2015 CSC 27).
- R. c. Proulx, préc., note 1., par. 32, citant et traduisant R. v. Taylor, 1997 CanLII 9813 (SK CA).
- R. c. Edgar, 2019 QCCQ 4821, par. 153. Voir aussi R. v. Bosco, 2016 BCCA 55, par. 55.
- R. c. Proulx, préc., note 1, par. 33. Voir aussi: R. c. Shoker, 2006 CSC 44, par. 13; R. c. Edgar, préc., note 3, par. 153; R. c. Cormier, 2016 QCCA 1489, par. 7; R. v. Kirton, 2007 MBCA 38, par. 11;R. v. Leschyshyn, 2007 MBCA 41; R. v. Goeujon, 2006 BCCA 261; R. v. Rawn, 2012 ONCA 487.
- R. v. Singh, 2016 MBCA 38, par. 15.
- R. c. Cormier, préc., note 4, par. 7. Voir aussi: R. v. Dunn (BJ), 2011 NBCA 19.
- R. c. Shoker, préc., note 4, par. 13. Voir aussi: R. v. Kootenay, 2000 ABCA 301; R. v. Traverse, 2006 MBCA 7.
- R. c. Shoker, préc., note 4, par. 10, 13.
- R. v. Bourque, 2013 BCCA 447, par. 26.
- R. c. Shoker, préc., note 4, par. 10.
- R. v. Singh, préc., note 5, citant R. c. Shoker, préc., note 4, par. 10; R. v. Woroby (TW), 2003 MBCA 41, par. 31; R. v. Voong, 2015 BCCA 285, par. 43.
- R. v. Bourque, préc., note 9, par. 28. Voir aussi: R. v. Badyal, 2011 BCCA 211, par. 5; R. v. Bosco, préc., note 3, par. 55.
- R. c. Shoker, préc., note 4, par. 13. Voir aussi R. v. Singh, préc., note 5, par. 15; R. v. Bosco, préc., note 3, par. 55; R. v. Badyal, préc., note 12, par. 3, 5, 9; R. v. Voong, préc., note 11.
- R. c. Zora, 2020 CSC 14; R. c. Antic, 2017 CSC 27.
- R. c. Singh, préc., note 5, par. 28.