Déconstruire certains préjugés sur les Autochtones
Par Florence Tardif et Alexandra Yazbeck, étudiantes à la Faculté de droit de l’Université de Montréal
Photo by Claudio Schwarz | @purzlbaum on Unsplash
Après avoir lancé un appel sur la page Facebook du Comité Droit Autochtone de l’UdeM afin de recueillir de façon anonyme les préjugés les plus répandus sur les Autochtones, nous avons analysé les résultats et avons choisi de déconstruire cinq préjugés parmi les plus courants. En espérant que cet article serve de démonstration qu’il vaut toujours mieux s’informer avant de partager des propos stéréotypés sur un sujet, nous vous invitons à poursuivre votre lecture pour en apprendre un peu plus.
« Les Autochtones ne paient pas de taxes ni d’impôts »
Il existe une croyance erronée selon laquelle les Autochtones ne paient pas de taxes ni d’impôts. En réalité, plusieurs nuances s’imposent. Quant à la taxation, les Autochtones n’y sont normalement pas assujettis sur la propriété, l’occupation et la possession d’un bien à l’intérieur d’une réserve [1]. Cependant, le Conseil de bande peut émettre des règlements pour imposer des taxes. De plus, les Autochtones sont exemptés de la taxe de vente lorsque la vente est faite dans une réserve ou lorsqu’elle est faite par un Indien sur un bien meuble autre qu’un véhicule. Quant aux impôts, les Autochtones bénéficient seulement d’une exemption d’impôts sur le revenu lorsque le travail est exécuté dans la réserve ou hors réserve pour le compte d’un employeur situé dans la réserve [2].
Également, plusieurs personnes exagèrent l’ampleur du « privilège » conféré par l’exemption d’impôts sur le revenu. Dans la majorité des communautés, les employeurs tiennent compte de l’exemption pour déterminer les salaires, donc ceux-ci sont nettement inférieurs. Par ailleurs, une personne des Premières Nations qui travaille au sein de sa communauté ne peut pas bénéficier des avantages d’un REER [3]. Lorsqu’on ne paie pas d’impôt sur le revenu, on ne peut bénéficier d’une économie d’impôt. Finalement, les exemptions prévues à la Loi sur les Indiens ne s’appliquent pas à tous les autochtones, mais seulement aux Indiens inscrits [4]. Les Inuits ne sont donc pas concernés par cette loi et paient leurs taxes et impôts [5].
« Les Autochtones peuvent chasser et pêcher quand bon leur semble »
Il existe un préjugé à l’effet que les Autochtones peuvent pêcher quand ils le désirent, même sans permis. C’est d’ailleurs une source de conflits, comme on peut le voir présentement en Nouvelle-Écosse alors que les membres de la nation mi’kmaq de Sipekne’katik subissent de la violence et de l’intimidation car ils exercent leur droit de pêcher hors saison.
Il faut comprendre que les Autochtones ont toujours conservé des droits importants en matière de chasse, de pêche et de piégeage, des droits distincts de ceux reconnus aux autres résidents du Québec. Dans certains cas, ces droits sont prioritaires, voire même exclusifs. Ces droits sont notamment issus de traités et ont été reconnus à plusieurs reprises, notamment par la Cour suprême. L’arrêt R. c. Marshall est fondamental en ce sens, car il a reconnu l’existence des droits de pêches issus des traités ainsi que le devoir de consultation avant d’imposer des règlements par rapport à la pêche [6].
Plusieurs personnes ont souvent cherché à présenter cette situation comme une forme de passe-droit, une « discrimination » qui s’exercerait au détriment des autres citoyens. Pourtant, il n’y a pas d’incompatibilité entre l’existence de droits distincts et l’exercice du droit à l’égalité tel qu’inscrit dans nos chartes. Des situations particulières peuvent en effet exiger que certains groupes se voient accorder des droits distincts parce que c’est une façon de leur assurer une égalité réelle. C’est ainsi que depuis 1982, la section 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 reconnaît aux peuples autochtones des droits particuliers du fait qu’ils ont occupé le territoire avant l’arrivée des Européens [7]. C’est ce qu’il faut entendre par l’expression « droits ancestraux », qui ont d’abord été reconnus dans l’arrêt R. c. Sparrow en 1990, puis réitérés et précisés à maintes reprises par la Cour suprême [8].
« Les Autochtones réclament tout le territoire du Québec »
Les Autochtones occupaient le territoire actuel du Québec bien avant l’arrivée des premiers Européens. Lors de leur arrivée, bien que les Européens aient signé quelques traités avec les Autochtones, il n’a jamais été question de cession du territoire. Aucune procédure pour coloniser les terres autochtones n’a été prévue avant la Proclamation Royale et cette dernière indiquait que leur consentement était requis. Quelques traités de cession du territoire ont été conclus par la suite, quoi que très peu, et la notion du consentement des Autochtones est très controversée en raison du rapport de force inégal, des conceptions différentes de la propriété et de la fausse information qui était donnée aux Autochtones pour les convaincre de signer.
C’est seulement en 1975, avec la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, que le premier traité territorial impliquant le Québec est conclu [9]. Elle a été signée avec la nation crie et les Inuits du Nord, dans le cadre des travaux entourant le développement hydro-électrique de la région de la Baie-James. Ainsi, pratiquement aucun traité territorial avant 1975 ne prévoyait la cession par les Autochtones de leurs « droits, titres ou intérêts » sur des terres.
Pour cette raison, la majorité́ des Premières Nations vivant au Québec affirment qu’elles n’ont jamais cédé leurs droits sur leurs terres ancestrales. C’est une question qui nécessite d’être posée partout où aucun traité n’a été conclu, en empruntant une démarche d’égalité, de reconnaissance réciproque et de respect mutuel. La Convention de la Baie-James démontre que les revendications peuvent être abordées sous l’angle du partage et de la coopération et non pas de la privation. Ainsi, le fait de reconnaître aux communautés autochtones leur territoire ne signifie pas que les Québécois doivent sacrifier quelque chose [10].
Mettre toutes les Premières Nations dans le même bateau
Avant tout, il est impératif de comprendre que le mot « autochtone » est un terme générique. Il est donc rare qu’une personne s’auto-identifie comme étant Autochtone. Il faudrait plutôt diviser le mot en trois catégories : Premières nations, Inuit et Métis. Chacun de ces groupes vit une réalité qui est extrêmement différente, autant sur le plan social que juridique.
Cela étant, le Québec compte actuellement 11 nations autochtones, qui sont divisées en 55 communautés dont les tailles varient de quelques centaines à quelques milliers de personnes. Ces communautés vivent dans des environnements très différents et il est faux de penser qu’elles sont toutes identiques. Ces 11 nations appartiennent à trois grandes familles linguistiques et culturelles. Les Inuits se rattachent à la famille eskaléoute, les Kanien’kehá:ka (Mohawks) et les Hurons-Wendat font partie de la famille iroquoienne, traditionnellement sédentaire et les huit autres nations relèvent de la famille algonquienne, traditionnellement nomade. Il y a sans doute des dénominateurs communs entre les nations, ce qui leur permet de se soutenir sur le plan politique, mais elles sont néanmoins distinctes.
Cette diversité est au cœur de la réalité autochtone au Québec. Elle se manifeste de plusieurs manières : la langue, les traditions, les styles de vie, les croyances, et elle se trouve à la base d’identités spécifiques à chaque nation. C’est par leur appartenance nationale que se définissent la plupart des membres des Premières Nations ainsi que les Inuits. Avant d’être Autochtones, ils sont Innus, Atikamekw, Mi’gmaq, Hurons-Wendat, Kanien’kehá:ka, Inuits, etc. [11]
Nous vous encourageons à vous renseigner sur ces nations [12].
« Le passé des Autochtones se résume à ce qu’on voit dans les cours d’histoire »
Maisons longues, wigwam, société matrimoniale, vie de cueillette, chasse et pêche : c’est à peu près tout ce qu’on enseigne sur les Autochtones dans nos cours d’histoire. En effet, le cursus actuel se limite à raconter l’histoire, souvent de façon stéréotypée, du mode de vie des Algonquiens et Iroquoiens en 1500 et du premier contact avec les Européens.
Or, les cours d’histoire se doivent de favoriser, tel que l’a demandé la Commission Vérité et Réconciliation de 2015, « le renforcement de la compréhension interculturelle, de l’empathie et du respect mutuel » [13]. Le rapport final a demandé que les écoles soulignent l’histoire plus récente des Premières Nations, en particulier l’héritage des pensionnats autochtones, tout en valorisant la culture autochtone. Depuis 2016, le gouvernement a déjà tenté par deux fois de réviser le programme d’histoire au secondaire, mais les critiques sont toujours à l’effet que la portion accordée au rôle des Autochtones dans l’histoire canadienne est insuffisante [14].
Deux mythes véhiculés par les cours d’histoire :
- La conquête
Plusieurs pensent que les Autochtones ont été conquis à l’arrivée des premiers Européens, alors qu’en réalité, ils étaient plutôt des alliés que des sujets colonisés. Sous le Régime français, les membres des Premières Nations n’étaient pas soumis à la taxation, aux impôts, ni aux lois françaises. Bien qu’il y ait eu conquête en 1760, il s’agit de la victoire de l’Angleterre sur la France et non sur les nations autochtones. D’ailleurs, durant cette période, plusieurs Premières Nations affirmaient leur neutralité dans la guerre qui opposait les Français et les Anglais, notamment avec un collier de wampums [15].
- Les civilisations primitives
Les cours d’histoire ont tendance à nous faire voir les Autochtones comme étant des nomades primitifs que les arrivants européens ont sauvés. Cela est bien loin de la réalité, car au contraire, la colonie française en Amérique du Nord a eu besoin des Autochtones pour survivre. Ces derniers ont rendu possible le commerce des fourrures, ont transmis leur savoir culinaire, leur esprit sportif et leurs connaissances des plantes médicinales. De plus, les explorations et la découverte du territoire et de ses ressources n’auraient pu être réalisées sans la contribution des Autochtones [16].
Comme on peut le constater, les préjugés envers les peuples autochtones n’ont aucun fondement. De plus, l’information nécessaire pour déconstruire ces préjugés est assez simple à trouver, il suffit de faire une petite recherche. Donc, avant de partager des propos stéréotypés sur un sujet, nous vous invitons à vous informer et à faire partie d’une conversation qui favorise la réconciliation.
- Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), chap. I-5, art. 87(1).
- Pierre LEPAGE, Mythes et réalités sur les peuples autochtones, 3 éd. mise à jour et augmentée, Institut Tshakapesh et Commission des droits de la personne et de la jeunesse, Montréal, 2019, p. 86.
- Frédéric ROY, « La fiscalité des clients autochtones en trois points », Finance et investissement, 13 août 2015.
- Loi sur les Indiens, préc., note 1, art. 6(1).
- Id., art. 4(1); P. LEPAGE, préc., note 2, p. 86.
- R. c. Marshall, 3 R.C.S. 456.
- Droits des peuples autochtones du Canada, partie 2 de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, c. 11 (R.-U.)], art. 35(1); P. LEPAGE, préc., note 2, p. 89.
- R. c. Sparrow, 1 R.C.S. 1075.
- Convention de la Baie James et du Nord québécois, 1975.
- P. LEPAGE, préc., note 2, p. 89.
- Id., p. 57-68.
- GOUVERNEMENT DU QUEBEC, Premières Nations et Inuits du Québec, 2016; STATISTIQUES CANADA, Les peuples autochtones au Canada : Premières Nations, Métis et Inuits, 2018.
- Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015.
- Patricia CLOUTIER, « Cours d’histoire au secondaire : une plus grande place aux autochtones », Le Soleil, 31 octobre 2015.
- P. LEPAGE, préc., note 2, p. 5-7.
- Id., p. 7-15.