La répression de l’évasion fiscale : analyse comparative entre le droit canadien et le droit français

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Par Luis Vargas (LL.M. droit international, Université de Montréal), étudiant au programme d’actualisation en droit à la Faculté de droit de l’Université de Montréal

Cet article fait suite à une première partie axée sur les notions théoriques de l’évasion fiscale. Il a pour but principal d’expliquer sommairement les similitudes et les nuances du cadre juridique pour sa répression au Canada et en France. Nous invitons nos lecteurs à consulter notre premier volet, lequel peut agir en tant que glossaire, en cas de doute sur ces notions.

Tout d’abord, la dualité de la nature juridique de l’évasion fiscale ouvre la porte à deux sortes de contentieux. D’un côté, lorsqu’il s’agit d’évitement fiscal, le contentieux purement administratif. De l’autre, lorsqu’il s’agit de fraude fiscale, le contentieux pénal [1]. Cela étant dit, le fardeau de preuve ne s’avère pas le même dans les cas d’évitement fiscal qu’en cas de fraude fiscale. D’une part, le fardeau est moins exigeant en cas d’évitement car l’administration se fie à la règle de preuve en matière civile, soit la prépondérance des probabilités [2]. D’autre part, le fardeau de preuve en cas de poursuites pour fraude est plus élevé, car le juge criminel doit être convaincu de la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable [3].

Étant donné que le système de justice fiscale fonctionne sur la base du principe d’indépendance, deux décisions sur les mêmes faits, parfois contradictoires, peuvent être rendues par le tribunal en matière criminelle et administrative. Trouve ici application le nouvel adage : « le criminel ne tient plus le civil en l’état » [4]. En effet, les sanctions pénales s’appliquent indépendamment des amendes administratives sans que ne puisse être appliquée la règle non bis in idem [5].

En droit canadien, l’article 239 de la Loi de l’impôt sur le revenu du Canada [6] prévoit la répression de l’évasion fiscale. En effet, cette disposition établit les conditions requises pour considérer cette infraction comme de nature criminelle, ainsi que les règles générales pour sa poursuite. Le droit français, pour sa part, dispose d’une disposition de droit commun, soit l’article 1741 du Code général d’impôts [7]. À cet égard, l’administration jouit d’autonomie pour déterminer, sous le contrôle du fisc, les impôts auxquels le contribuable a omis de se conformer ainsi que pour imposer les sanctions pertinentes [8].

Ayant énoncé cela, lorsqu’il est question de répression pénale de l’évasion fiscale, les tribunaux prendront deux éléments en compte. D’une part, lorsque le contribuable se soustrait au paiement de l’impôt, il se rend coupable de l’élément objectif de l’infraction, c’est-à-dire l’acte reus [9]. D’autre part, lorsque le contribuable a l’intention de commettre l’infraction, il réalise l’élément subjectif de l’infraction, c’est-à-dire la mens rea [10].

Notons que dans la législation française et canadienne, l’intentionnalité constitue un élément essentiel à cette infraction, c’est-à-dire que l’auteur de l’infraction doit être animé par une volonté de fraude. En vertu des principes généraux de droit criminel, cette preuve incombe à la Couronne et à son équivalent en droit français, le ministère public. En premier lieu, « l’accusé doit savoir que l’impôt est dû en vertu de la loi et, deuxièmement, l’accusé doit avoir l’intention d’éviter ou (l’intention de tenter d’éviter) le paiement de cet impôt » [11]. En effet, la jurisprudence canadienne établit qu’il n’est pas nécessaire d’avoir éludé l’impôt et que l’existence d’une intention générale suffit, c’est-à-dire la connaissance de la fausseté de l’inscription [12].

Le droit canadien prévoit que dans les cas importants d’évasion fiscale comprenant un élément international, le dossier du contribuable fautif doit être renvoyé au programme des enquêtes criminelles (PEC) de l’Agence du revenu du Canada (ARC). Si nécessaire, le dossier est encore une fois renvoyé, cette fois-ci au Service des poursuites pénales du Canada (SPPC) pour que celui-ci intente des poursuites criminelles. En effet, dans les cas d’actes criminels graves, la Couronne peut déposer des accusations de fraude en vertu de l’article 380 du Code criminel [13].

Il en est de même en droit français. Cette infraction ne donne pas d’office lieu à des poursuites par le procureur de la République, le dépôt préalable d’une plainte par l’administration tributaire étant condition sine qua non de validité. Le rôle de l’administration est d’agir comme partie jointe au ministère public. En tant que partie civile, elle est présente à toutes les étapes de la procédure. Elle peut produire des documents ou fournir des renseignements pour éclairer les magistrats et contester les arguments de personnes mises en examen afin que soient appliquées les mesures les plus efficaces pour la répression du délit [14].

Par ailleurs, si les accusés ont recours à des moyens frauduleux (par exemple un stratagème ou l’usage d’un paradis fiscal) pour éviter ou contourner leur obligation fiscale et lorsque le montant d’impôt éludé est supérieur à certains montants, le risque d’emprisonnement s’accroît [15]. Il en va de même lorsque l’accusé est un professionnel, par exemple un avocat, un notaire ou un comptable. Il s’agit de l’équivalent en droit français de la négligence [16]. 

En ce qui concerne les peines, la législation canadienne prévoit un contrôle plurinormatif, c’est-à-dire que le contribuable fautif pourra payer une pénalité administrative, remettre le montant d’impôt éludé, aller en prison et avoir un casier judiciaire. Aussi, il pourra se voir interdire d’exercer certains métiers et encourir l’affichage de sa sentence sur le site de l’ARC. Dans le cas d’une poursuite en vertu de l’article 380, une peine d’emprisonnement maximale de 14 ans peut être appliquée. Une peine minimale de deux ans est par ailleurs imposée si le contribuable a fraudé le gouvernement pour plus de 1 million de dollars [17].

En droit français, l’auteur du délit de fraude fiscale est passible d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 500 000 €. Les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et à une amende de 3 000 000 €, le montant pouvant être fixé au double du produit tiré de l’infraction lorsque les faits ont été commis en bande organisée ou encore réalisés ou facilités au moyen frauduleux (par exemple l’usage d’un paradis fiscal). À ces sanctions s’ajoutent des peines complémentaires, telles que : la publication, l’affichage et la diffusion de la décision prononcée; l’interdiction professionnelle; la suspension du permis de conduire; et la prohibition des droits civiques du contribuable (sans excéder 5 ans en cas de condamnation par délit) [18]. Lorsqu’il s’agit de faits se rapportant à l’escroquerie fiscale, l’amende peut atteindre les 375 000 € et cinq ans d’emprisonnement. Pour les personnes morales, le maximum établi est porté au quintuple [19].

En conclusion, les similitudes en droit canadien et en droit français sont nombreuses. On peut toutefois retenir la séparation de l’évasion en deux notions, l’évitement et la fraude; sa répression par deux instances différentes, soit l’instance civile en cas d’évitement et l’instance pénale en cas de fraude, le fardeau de preuve divergeant en fonction de l’instance. Il faut aussi souligner la nécessité qu’il y ait dépôt d’une plainte d’une autorité administrative à l’encontre d’un justiciable lorsque la gravité de l’acte l’exige et qu’il y ait preuve de l’intentionnalité devant les instances judiciaires. Également, il existe des similitudes en ce qui concerne les facteurs aggravants, tels que l’utilisation de stratagèmes ou la participation de tiers complices, ainsi que par rapport à la nature plurinormative du contrôle des pénalités, y compris leur complémentarité. Pour ce qui a trait à ses différences, elles tournent principalement autour des montants de la peine.    


  1. Michel VÉRON, Droit pénal des Affaires, Paris, Dalloz, 2016, p. 165. Knox Contracting Ltd. c. Canada, 1990 CanLII 71 (CSC), [1990] 2 RCS 338.
  2. Art. 2804 Code Civil du Québec.
  3. JUSTICE CANADA, Poursuite criminelle : fardeau de la preuve.
  4. Loi N° 2007-291 du 5 mars 2007.
  5. MINISTRE DE FINANCE ET DE COMPTES PUBLIQUES, Extrait du Bulletin Officiel des Finances Publiques-Impôts, Paris, 18 juin 2016, p. 2.
  6. Art. 239 Loi de l’impôt sur le revenu (L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.). L’article 239 stipule que : « Toute personne qui, selon le cas (…) a) a fait des déclarations fausses ou trompeuses, ou a participé, consenti ou acquiescé à leur énonciation (…) d) a, volontairement, de quelque manière, éludé ou tenté d’éluder l’observation de la présente loi ou le paiement d’un impôt établi en vertu de cette loi ou a conspiré avec une personne pour commettre une infraction visée aux alinéas a) à d). Voir aussi : Art. 62 de la Loi sur l’administration fiscale, RLRQ, c. A-6.002.
  7. Art. 1741, al. 1er et al. 3 et 4, et 1750, al. 1er et 1743, § 1° Code General d’Impôts. L’article 1741 du Code général d’impôts établit que cette infraction sera constituée par la soustraction (ou la tentative de se soustraire) à l’établissement ou au paiement total ou partiel des impôts visés par cette disposition. Les manœuvres visant à se soustraire au recouvrement de l’impôt de même que les procédés de fraude sur l’assiette d’imposition ont le même degré de gravité.
  8. Art. 1741. Michel VÉRON, préc, note 1, p. 165.
  9. Hugues PARENT, « La culpabilité, traité de droit criminel », 3e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2014, p. 16.
  10. DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES, Un autre élément essentiel à prouver dans un procès criminel : l’intention coupable.
  11. R. v. Klundert, 2011 (ONCA), para. 46, 646 (CanLII).
  12. Id. Voir aussi : R. c. Pomerleau, 2003 CanLII 33471 (QC CA).
  13. CHAMBRE DES COMMUNES, L’Agence de Revenu du Canada, l’évitement fiscale et l’évasion fiscale : mesures recommandes, rapport du comité permanent de finances, Ottawa, Octobre 2016, p. 7-8.
  14. M. VÉRON, préc., note 1, p. 167.
  15. Service acier inoxydable Couture inc. c. Québec (Sous-ministre du Revenu), 1999 CanLII 13436 (QC CA).
  16. Art. 21 et 22 Code criminel. Conformément au paragraphe 21 (1) du Code criminel, participent à une infraction « quiconque accomplit ou omet d’accomplir quelque chose en vue d’aider quelqu’un à la commettre ou quiconque encourage quelqu’un à la commettre ». Par ailleurs, le paragraphe 22 (1) du Code stipule que lorsqu’une personne conseille à une autre personne de participer à une infraction et que cette dernière y participe subséquemment, la personne qui a conseillé participe à cette infraction. En droit français la négligence peut s’avérer punissable, notamment lorsque les entreprises qui s’en remettent à divers intermédiaires pour déterminer l’imposition, par exemple lorsqu’elles minorent des recettes et des résultats.
  17. MINISTRE DE FINANCE ET DE COMPTES PUBLIQUES, préc., note 5, p. 8. 
  18. Art. 1741, al. 2 Code général des impôts.
  19. Art. 313-1 Code pénal. L’escroquerie fiscale fait référence à la vente sans facture, à des factures ne se rapportant pas aux opérations réelles ou qui ont pour objet d’obtenir des remboursements injustifiés.