Le médiateur face à la COVID-19 : bonnes pratiques à développer pour la réussite d’une médiation en ligne

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Photo by Chris Montgomery on Unsplash

Par Lucrece Leumeni Moukam, étudiante à la maîtrise en prévention de règlement des différends à la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke.

En ce moment, alors que le monde vit une crise sanitaire dévastatrice, les médiateurs et les avocats ont dû développer des techniques leur permettant de poursuivre leurs activités tout en respectant le confinement et la distanciation sociale. En effet, nombreux d’entre eux ont dû adapter leur pratique, en réalisant par exemple des séances de médiation en ligne. Cet article a pour but d’ouvrir une réflexion sur la médiation en ligne, et d’aborder les bonnes pratiques à développer pour réussir cette dernière.

La médiation en ligne est une nouvelle manière de faire des médiations à distance, en utilisant les technologies de l’information et de la communication. On quitte les traditionnelles rencontres et les contacts humains, pour des échanges où les personnes concernées se trouvent derrière un écran. Cette manière de faire est particulière, et peut rapidement générer de l’inconfort [1] rien qu’à y penser; en effet, en médiation à distance, le médiateur n’a pas facilement accès au non-verbal des parties, à certaines émotions, à certaines réactions, ou à certains messages [2]. Mais dans le contexte actuel où le retour à la normale est indatable, les médiations en ligne permettent d’avancer sur les dossiers, conserver un momentum raisonnable et éviter d’étirer – inutilement – la durée du processus de médiation.

Faire ou ne pas faire des médiations en ligne? Tout dépend des praticiens et de leurs dossiers. Il n’en demeure pas moins que chaque praticien devrait se poser la question, faire cette préparation mentale qui l’aidera à jauger s’il est confortable à pratiquer des médiations en ligne, s’il y croit, et s’il est capable de rester accueillant, empathique, et de conserver une approche professionnelle. Partant, il pourrait également accompagner les parties à la médiation à faire cette préparation mentale, car elles devront elles aussi faire face à une nouvelle manière de faire des médiations, qui pourrait générer chez elles des questions, des craintes, des doutes…

Le praticien devrait avant toute chose pouvoir explorer si les parties sont disposées à utiliser un mode virtuel, et ne pas prendre pour acquis que ce sera facile pour tout le monde. Il doit pouvoir faire ressortir ce que les parties pensent de l’expérience de médiation en ligne, quelles sont leurs éventuelles craintes, comment elles se sentent à l’idée de cette nouvelle expérience… Cela est un bon moyen de mesurer le niveau d’intérêt des parties pour la médiation en ligne, et de s’ajuster au besoin. 

Cette préparation mentale étant faite, il est important de considérer 6 éléments clés, avant de réaliser des médiations en ligne.

Le premier élément est le choix de la plateforme de médiation. L’idée est d’opter pour une plateforme sécurisée, afin éviter les risques de piratage ou vol d’information. La plateforme idéale offre également des fonctions comme les salles de caucus, les salles d’attente, le partage de document et d’écran. Le praticien doit connaître cette plateforme et y être habitué. En maître du processus, il doit être capable d’apporter des réponses et du soutien aux parties, concernant les manipulations à faire. Évidemment un assistant technique ou les parties peuvent apporter du support au médiateur en cas de besoin, mais il est important que le médiateur ne soit pas dépendant d’eux, qu’il détienne assez de connaissances sur la plateforme : cela lui apporte une image professionnelle, et contribue à renforcer le lien de confiance avec les parties. Comme exemples de plateformes professionnelles, nous pouvons citer Microsoft Teams, Zoom, Modron, Blue Jeans, Adobe Connect, Cisco Web, RingCentral. Nous ne saurions omettre de parler de plateformes québécoises telles Justicity [3] ou Médiation à distance [4], qui ont la particularité de proposer une liste de médiateurs et leur domaine d’expertise.

L’idéal est que le médiateur s’occupe de créer des réunions en ligne et d’envoyer les liens de rencontre aux concernés. Il pourrait aller plus loin en faisant avec les parties des tests de manipulation de la plateforme ou en partageant des tutoriels d’utilisation avant les rencontres proprement dites.

Le deuxième élément est l’exigence de confidentialité. La difficulté de la médiation en ligne est qu’on ne peut pas toujours contrôler les personnes présentes durant les échanges : il pourrait arriver qu’un tiers se cache dans la pièce où se trouve une partie et écoute les médiations, ou qu’une partie partage ou enregistre discrètement les échanges. Le médiateur doit mettre l’accent sur la confidentialité du processus, interdire le partage des liens de rencontres et l’enregistrement des discussions; il doit aussi explorer l’environnement des parties pour s’assurer que des oreilles indiscrètes n’écoutent pas les échanges de médiation. Comme mesure supplémentaire, il pourrait verrouiller les rencontres, n’autoriser que les personnes concernées, inspecter les salles en demandant aux parties de bouger leur caméra, pour une sécurité accrue.

Le troisième élément à considérer est l’équipement nécessaire aux médiations en ligne : un ordinateur, une tablette, un téléphone… ayant accès à une connexion Internet. Il faudrait aussi que les concernés aient un bon débit de bandes passantes, pour assurer la fluidité de la communication. Selon le cas, les parties pourraient avoir besoin d’écouteur pour isoler le bruit, ou d’un éclairage supplémentaire si la salle où elles se trouvent n’est pas assez éclairée. Tous devront s’assurer que leurs haut-parleurs, microphones, caméra… soient en bon état, se tenir à proximité de prises de courant électriques, et garder leurs chargeurs de batteries à portée de main.

Le quatrième élément repose sur la création d’un environnement professionnel; les parties et le médiateur devraient veiller à ne pas être dérangés ou interrompus par de tierces personnes, où distraites par leur animal de compagnie. Elles pourraient avoir à s’assurer d’avance de prévenir leur famille, que leur animal de compagnie se trouve ailleurs et sous contrôle, de mettre les notifications de cellulaire sous silencieux, de fermer les fenêtres pouvant créer des distractions sur leur ordinateur. Pour être à l’aise, elles pourraient prévoir un thé ou un café, s’assurer que la salle où elles se trouvent est bien chauffée, ou aérée…

Le cinquième élément à prendre en compte pour réussir sa médiation en ligne est la gestion logistique. D’entrée de jeu, des règles doivent être fixées pour limiter l’improvisation; par exemple, le médiateur et les parties pourraient prévoir le nombre de pauses et leur durée, organiser le déroulement des séances, rester visible en tout temps ou couper la caméra lorsque les émotions deviennent fortes…

Le sixième élément concerne le protocole de médiation : le document préparatoire à la médiation doit contenir les informations habituelles, en plus de ce qui a été décidé concernant la logistique, la confidentialité, et le procédé de médiation en ligne. Les parties doivent clairement savoir à quoi elles s’engagent, et manifester leur volonté de s’engager. D’habitude, le protocole de médiation est signé avant le début des échanges. En ligne, c’est possible de signer grâce à Adobe Sign ou DocuSign. Dans le pire des cas, la bonne vieille technique d’impression, signature manuscrite et numérisation ou télécopie reste valable.

En somme, pour réussir sa médiation à distance, il faudrait de la volonté, de la collaboration, des ressources matérielles. Les médiations à distance présentent des avantages de commodité, car elles évitent les déplacements et les coûts associés. De plus, nous pensons que le fait que les parties puissent faire des médiations dans le confort de leur appartement par exemple, pourrait accroître leur niveau de confiance en elles-mêmes. Pour ces raisons, nous pensons que la médiation en ligne est bien partie pour rester.


  1.  « Many, such as Jim Holmes of Clyde & Co. LLP in Los Angeles, are reluctant because they believe they can observe more nuance and detail in person: “There’s something about being able to see others to judge reactions, credibility and limits; the personal touch. Nothing quite equals face-to-face to detect other messages ». Jeff KICHAVEN, «The Era Of Video Mediation Is Here — Or Is It?», Law 360, 6 avril 2020.
  2. « Negotiation thrives on physical presence. Handshakes, eye contact, shared meals, and long meetings in stuffy conference rooms are everyday tools of the trade, and with good reason: Negotiators who meet in person reach better deals than those who negotiate online, research shows. Face-to-face meetings offer invaluable nonverbal and verbal cues, such as eye contact, body language, and tone of voice, that facilitate understanding and build lasting bonds », Katie SHONK, «Online Negotiation in a Time of Social Distance», Program on Negociation, Harvard Law School, 26 mars 2020.
  3. Plateforme de médiation et d’arbitrage 100% en ligne JUSTICITY.
  4. Médiation à distance, GGL Avocat.