L’enjeu autochtone de la crise climatique

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Par Meena Mrakade, étudiante à la Faculté de droit de l’Université de Montréal

Photo by William Daigneault on Unsplash

Les changements climatiques, malgré le fait qu’ils soient réellement portés à notre attention depuis une vingtaine d’années, sont considérés comme un réchauffement des températures globales attribué à l’activité humaine depuis le milieu du 20e siècle à une vitesse et un niveau sans-précédents [1]. Mais, si c’est un problème global, comment se fait-il que certaines communautés, notamment les communautés autochtones, sont parmi les plus touchées de la planète ?

Un grand nombre de communautés autochtones dépendent toujours de la richesse écologique afin de pallier leurs besoins économiques, sociaux et culturels, ce qui fait en sorte qu’ils sont davantage sensibles aux effets des changements drastiques de phénomènes climatiques [2]. Par exemple, les chasseurs Inuits du Nunavut remarquent l’amincissement de la glace de mer et une réduction du nombre de phoques dans certaines régions, animal qui est la source la plus importante d’alimentation pour cette communauté. Également, les Dénés vivent un changement dramatique des phénomènes climatiques, de la végétation et de la distribution des animaux au cours des cinquante dernières années [3]. Or, il se trouve que ces mêmes communautés sont parmi les plus novatrices en ce qui trait aux mesures à prendre pour tenter de sauver notre planète. Les communautés autochtones et nordiques du Canada « prennent des mesures à cet égard afin d’accroître leurs capacités de résilience et d’adaptation aux changements climatiques et elles élaborent et mettent en œuvre des projets d’énergie renouvelable en vue de réduire leur dépendance au carburant diesel. » [4]

On peut se demander pourquoi ces communautés, dont les ressources sont infiniment moindres que celles du gouvernement fédéral canadien, arrivent à prendre des mesures proactives pour lutter contre la crise climatique. C’est parce qu’ils n’ont pas le choix.

À cause de la structure coloniale du pays et du fait que ces communautés autochtones ont été rassemblées et placées sur des réserves, ils n’ont pas la possibilité de se déplacer quand les conséquences des changements climatiques deviennent apparentes sur leur vie. Effectivement, les terres autochtones constituent 22% de la surface globale, alors qu’elles chevauchent des zones qui contiennent 80% de la biodiversité de la Terre [5]. C’est grâce à la résistance des communautés autochtones, de leur lien profond et spirituel, culturel et économique, avec l’environnement qu’elles ont la possibilité d’anticiper et de réagir à la crise climatique. Ce n’est pas un phénomène canadien : les Quechuas des Andes péruviennes et les San du désert de Kalahari sont deux exemples parmi ceux de communautés autochtones qui ont adopté des stratégies pour lutter contre des conséquences irrémédiables des changements climatiques [6]. Les Premières Nations ont développé des projets solaires communautaires, ainsi que des initiatives d’approvisionnement alimentaire. Ce sont les habitudes de partage de nourriture qui aident ces communautés à faire front aux problèmes de manque d’alimentation en raison des changements climatiques.

Il semble évident, alors, que ces communautés devraient être au centre de la conversation globale à propos de la crise climatique. Ce sont les habitants de la planète qui ont le moins contribué aux émissions de gaz à effet de serre, en plus d’être ceux qui s’adaptent le mieux, tout en étant les plus marginalisés et bénéficiant le moins de soutien gouvernemental. En raison de leurs ressources limitées et de la détérioration de la situation globale, il est évident qu’adviendra un moment où ces initiatives ne suffiront tout simplement pas [7]. De plus, le gouvernement canadien s’est tenu, avec l’adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, de s’abstenir de mettre en place « des mécanismes de prévention et de réparation efficaces visant […] b) Tout acte ayant pour but ou pour effet de les déposséder de leurs terres, territoires ou ressources. » [8] Comment alors qualifier l’extraction des ressources, comme l’exploitation des sables bitumineux de l’Alberta, et la pollution des terres et des eaux ? Non seulement le gouvernement canadien ne parvient pas à convenablement prendre en compte l’enjeu autochtone de la crise climatique, mais il pose activement des actes qui rendent la situation encore plus précaire pour les communautés autochtones.

Dans le rapport de Human Rights Watch à propos de la crise climatique et des droits des peuples autochtones à la nourriture au Canada datant d’octobre 2020, des recommandations claires sont faites au gouvernement fédéral [9]. Mettre en place des objectifs ambitieux de diminution des émissions de gaz à effet de serre en tenant compte de l’obligation de ne pas augmenter la pauvreté alimentaire pour les populations les plus touchées – soit les Autochtones, inclure dans les plans de relance de la COVID-19 une transition vers l’énergie renouvelable et assurer une participation significative des Premières Nations du Canada dans la conception et la mise en œuvre des politiques adressant la crise climatique.

Cet article ne vise pas à affirmer que ce sont uniquement les Autochtones qui sont touchés par la crise climatique. L’enjeu se trouve dans le fait que, même si la crise climatique affectait tous les Canadiens au même niveau, les conséquences seraient toujours astronomiquement plus graves pour les peuples autochtones. Ceci est dû aux institutions mises en place par un système de colonisation qui, certes, s’est amélioré, mais a toujours un très, très long chemin à faire. Rappelons-nous que l’injustice pour une communauté spécifique est une menace pour la justice partout, et que, tant que nous ne desservons pas les Autochtones dans nos démarches contre la crise climatique, nous échouons dans notre lutte pour la planète.


  1. NASA (Global Climate Change), « Climate Change: How do We Know? ».
  2. « Indigenous Communities Are at the Forefront of Climate Resilience », Climate Home News, 28 novembre 2019.
  3. AMAP, « Impacts of a Warming Arctic: Arctic Climate Impact Assessment », 2004, p. 92.
  4. GOUVERNEMENT DU CANADA, «Changements climatiques dans les communautés autochtones et nordiques».
  5. Climate Home News, préc., note 2.
  6. Mark NUTTALL, « Des moyens de subsistance menacés : Les peuples autochtones et leurs droits », Chronique ONU.
  7. « “My Fear is Losing Everything”: The Climate Crisis and First Nations’ Right to Food in Canada », Human Rights Watch, 21 octobre 2020.
  8. Art. 8(2)b) de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, 2007.
  9. Préc., note 7.